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Fiche pièce
Épilogue d'une trottoire



L'AUTEUR
Kamal Martial Alain



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Épilogue d'une trottoire
Kamal Martial Alain

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Hélène Mathon, étudiante Univ. Paris 3, SeFeA


  Mayotte
2007
Cultures France Editions
 
Genre
Drame

Nombre de personnages
1 femme
1 homme


Longueur
8 tableaux


Temps et lieux
Sur un trottoir.

Thèmes


Mots-clés
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

L'aube après une nuit en boîte et beaucoup d'alcool. Un client rend visite à une prostituée, une "trottoire" comme on les appelle dans certains pays d'Afrique. Il lui demande un sexe qui ne soit ni celui de l'homme ni celui de la femme. La prostituée cherche à le satisfaire. Au moment de payer, le client n'a pas d'argent. La trottoire réclame son dû et reçoit des coups en échange. Le client la tue à coups de pierre, lui faisant un trou dans la nuque comme s'il lui ouvrait dans le crâne un autre sexe. Elle se défend par les mots dans une parole hallucinée, colérique, revendicatrice, une parole pour parer les coups et défier la mort.

 
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Parcours dramaturgiques

L'épilogue d'une trottoire est le troisième et dernier volet de la série des Épilogues d'Alain Kamal Martial qui commence avec L'Épilogue des noyés et se poursuite avec L'Épilogue des ventres. À propos de cette trilogie, l'auteur dit qu'il s'agit de "la parole accordée à ceux qui n'ont pas de parole, à ceux que nos sociétés fragilisent et réduisent au silence". Le personnage de la prostituée est emblématique d'une communauté de femmes qui font commerce de leur corps. Kamal Martial fait résonner à travers elle la voix de toutes celles qui se battent sur les trottoirs, antichambre de la mort.

La pièce se déroule sur le trottoir d'une ville dont nous ne connaissons pas le nom, dans un temps indéfini entre la vie et la mort du personnage. Sa structure dramaturgique respecte la règle des trois unités dans une très grande simplicité, ce qui a pour effet d'accentuer le tragique et de mettre l'accent sur la langue et la complexité psychologique.

La pièce est composée de huit fragments organisés dans un ordre non chronologique et portant chacun un titre dessinant les événements racontés par la prostituée et se déroulant avant, pendant et après son agression par le client.
Fragment 1 : Je suis des fragments de femme sur un trottoir
Fragment 2 : Je vends mon sexe sur mon trottoir
Fragment 3 : Je vends mon derrière sur mon trottoir
Fragment 4 : Ma langue est un couteau qui déchire des sexes sur mon corps
Fragment 5 : Mon salaire de pute
Fragment 6 : Je suis une pute agressée sur un trottoir
Fragment 7 : Je suis une pute qui perd son sang sur son trottoir
Fragment 8 : Je crie un cri sur mon trottoir

Le terme "fragment" indique que nous sommes dans un espace mental où la notion de temps linéaire et continu n'existe pas. Nous pénétrons dans la psyché de la prostituée qui reconstitue les événements suivant ses émotions, ses sensations. À travers son regard meurtri, il nous est donné de refaire le trajet de sa rencontre avec le client jusqu'à son agonie sur le trottoir. Nous sommes témoins, presque jurés, de la tentative de reconstitution de la mise à mort arbitraire de cette femme. L'auteur laisse le choix au metteur en scène de faire figurer ou non le client sur scène, signifiant ainsi qu'il s'agit avant tout d'une adresse au monde, d'un cri de femme, dont la solitude nous touche. Tout au long de la pièce, la prostituée s'adresse alternativement au client et à elle-même. Elle décrit les faits qui ont conduit progressivement à l'agression : le désir d'un sexe différent, la sodomie, ses pensées, la douleur physique puis la colère de ne pas être payée, enfin la pluie de coups et le froid qui gagne sa chair.

 
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Pistes de lecture

Le théâtre ou l'espace de la dénonciation
Dans la première didascalie, l'auteur indique que la parole naît "dans les derniers instants qui précèdent la mort" dans le déploiement d'une vitalité désespérée. Cette indication donne, dès les premières phrases, toute la dimension tragique du texte et nous éclaire sur le choix du titre : ces mots sont les derniers d'une pièce qui a eu lieu avant et c'est l'agonie du personnage qu'il nous donne à voir. La parole dramatique officie ainsi comme espace de dénonciation : l'auteur donne à entendre ce qui ne s'entend pas, ce que nous ne voulons pas entendre : la violence de la réalité dans toute sa crudité, sans complaisance ni misérabilisme. Nous devenons ainsi les témoins d'une misère physique et psychique. Il évoque sans détours toutes les pulsions sexuelles, scatologiques, sadiques de l'homme qui avilissent le corps de la femme. On suppose que la mise en scène d'une telle violence a pour but de faire naître une prise de conscience chez le spectateur qui est brutalisé, transformant l'espace scénique en espace social et politique.


La dépossession corporelle
La violence de la situation est toute entière contenue dans le phénomène de double dépossession corporelle que subit le personnage. Cette femme vend sa chair, comme l'indiquent les titres crus des fragments 2 et 3. Son corps devient une marchandise et ne lui appartient plus. La misère la contraint à céder ce qu'elle a de plus intime. Elle s'applique à satisfaire le client, à exercer son métier en bonne professionnelle et cherche une réappropriation d'elle-même dans la singularité de sa pratique. Pour répondre à l'exigence quasi incompréhensible du client à la recherche d'un sexe qui ne serait ni homme ni femme, elle accepte la sodomie et obéit tout en cherchant une noblesse dans le travail bien fait. Son corps réduit à sa fonction sexuel se verra malgré tous ses efforts malmené, violenté, battu à mort.


Le pouvoir de la langue
À la négation du corps, la femme répond par la seule arme qu'elle possède : les mots. Elle les utilise pour ressusciter son corps, pour dénoncer la violence mais surtout pour continuer à exister. La mort n'apparaît pas comme le danger majeur ; la vraie terreur est celle de "mourir comme un caillou", de n'être plus rien et de disparaître. Et toute son énergie est concentrée dans cette ultime tache : son témoignage doit lui redonner une dignité perdue, une fierté. L'auteur choisit de n'utiliser aucun point pour marquer le caractère compulsif de cette parole qui se déroule pour continuer à vivre, comme si la mort allait surgir au moment où la parole s'éteindrait. Les répétitions agissent comme des formules incantatoires pour conjurer le sort :
Déshabille-toi
je me déshabille
tourne-toi
je me retourne
baisse-toi
je me baisse
Ce refrain revient régulièrement mettant en évidence la docilité de la femme qui se soumet et obéit au client. Dans son long monologue, elle oppose à la violence brutale du corps à corps avec le client des évocations poétiques. À l'odeur de la pisse, elle oppose celle de la farine, du pain, de la lessive. Pour tenir bon face à la douleur de la sodomie, elle convoque des images de montagnes, de pics de neige, toute une symbolique d'un monde harmonieux et naturel, où le respect mutuel existerait, une sorte de paradis perdu, celui de l'enfance.

 
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De plain-pied dans le texte

Non tu ne baisses pas les yeux… tu regardes mon visage avec le plaisir de ces choses à nous qui nous appartiennent déjà, tu parcours mes contours arrondis, mes reliefs charnus, mes yeux ouverts, doigts contractés, puis, tes yeux fermés, c'est pour écouter les rires d'antan et tes pas d'enfant entraient dans les bars de la mère, tu humes ma salive, tu cherches mon haleine dans ta respiration, le gémissement qui vient de ma gorge est le tien, cet instant je suis l'habitant du pays qui s'étale dans ta poitrine, je suis à toi comme je ne l'avais jamais été sur mon trottoir, mon visage dans ton visage et lorsque tu touches mon visage, c'est toi que tu sens, puis ce sentiment voulu des nuits et des nuits entières dans la pénombre des trottoirs, le sentiment de cet instant toujours cherché, toujours attendu entre l'ombre et la solitude du trottoir, enfin tu l'as, tu es cet instant en même temps tant la pute que l'on baise que l'homme qui la baise, tu sens que le sexe qui te pousse entre les jambes à côté du même sexe qui me pousse entre mes jambes, par l'immensité des formes qui nous viennent, par les vérités de nos dessous qui se posent, nous sommes l'un, le tout, l'autre sexe qui n'est ni le sexe du mâle ni celui de la femelle, un sexe (p. 106)

 
 
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Pour poursuivre le voyage


Du texte à la scène
Mise en scène de Thierry Bédard en novembre 2007 à Vandoeuvre, Annecy et à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Avec une création sonore réalisée d'après des enrgistrements auprès de prostituées du quartier de Tsaralalàna et des enfants des rues d'Analakely de Tananarive à Madagascar.

 
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Fiche réalisée par Hélène Mathon, étudiante Univ. Paris 3, SeFeA

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