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Il pleut de l'exil
Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Tiphaine Sintes et Mathilde Jeannez, étudiantes Univ. Paris 3, SeFeA
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Burkina Faso
2007
Ecritures d'Afrique, Culturesfrance
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Genre
Comédie dramatique
Nombre de personnages
2 femmes
Longueur
11 pages
Temps et lieux
Première partie en Europe et seconde partie en Afrique
Thèmes
Mots-clés
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Consultation de la fiche par rubriques |
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Un premier repérage :
la fable
Résumé de la pièce
Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité
de la structure et son fonctionnement général par
rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.
Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique
qui permet de dégager une interprétation et les
véritables enjeux de la pièce
De plain-pied dans le texte
Un extrait
Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture
à sa création en passant par les lectures dont elle
a pu faire l'objet
Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce
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Un premier repérage : La fable
Une femme quitte l'Europe, laissant derrière elle mari et enfants, pour découvrir l'Afrique, son chez elle fantasmé et inconnu, le pays du père, des racines, du début. Elle cherche des réponses à qui elle est dans ses origines, son histoire qui engendre sa différence. Métisse, sa peau parle pour elle : elle n'est ni complètement européenne, ni tout à fait africaine. Elle part, valise sous le bras, chercher en Afrique les morceaux qui lui manquent pour se sentir complète. Là -bas, la réalité n'est pas à la hauteur de ce qu'elle a imaginé. Ce n'est pas son pays qui l'accueille mais une terre étrangère qui la rejette.
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Parcours dramaturgiques
Un solo lyrique
La première partie de la pièce se situe dans un appartement vide après une fête. Elle est constituée exclusivement d'un long monologue en vers libre de la femme seule avec une valise (signe du départ, du voyage) et une chaise vide (signe de l'inertie, de l'inaction). La chaise est là et la valise l'emmène là -bas. La femme se sent elle-même vide, partagée entre l'Europe et l'Afrique, ne trouvant plus de repères, hésitant à partir ou à rester.
"Moi je suis bien quandâ¦
Je ne sais pasâ¦
Faut rester
Peut-être
Partir chez moiâ¦
Peut-être"
Ce monologue agit comme une ritournelle, une voix chantant sa quête. Les répétitions sonnent comme des refrains ; la langue est emprunte de poésie, la découpe typographique assène un rythme aux mots. Les alinéas très fréquents présentent ainsi le texte en prose comme des vers. Cet hymne, cette invitation à partir à la découverte de soi est parsemée d'effets de réel. Certains écarts de langage rompent cependant avec la poésie ("c'est quand même con que personne ne l'ait prise") tandis que certaines réalités prosaïques détonent avec le discours métaphysique ("Je suis prête en tous cas/Mon passeport, mes adresses, mon téléphone"). La femme mentionne brièvement la famille qu'elle laisse derrière elle, celle qu'elle a construite et non celle dont elle a hérité et en quête de laquelle elle part. Elle s'attarde en revanche sur la chaise qui stigmatise son attachement à ce lieu, ce dont elle ne peut se défaire, une chaise dont personne n'a voulue et qui reste là . Cette chaise symbolise l'exclue, celle laissée pour compte, rejetée.
Un duo disharmonique
La seconde partie, située en Afrique, est composée du dialogue entre la femme et sa tante, la sÅur du père. Si la première partie se présente comme un flot interrompu et régulier de paroles, la seconde est caractérisée par des ruptures de rythme, des alternances de tons, sans qu'on puisse déceler de logique ni chronologique, ni sémantique. La mise en page permet de visualiser l'explosion de parole qui laisse moins de place au blanc, au silence que dans le premier tableau.
Les deux personnages parlent mais se répondent rarement. Chaque femme part à la dérive, laissant l'autre perplexe. Elles ne se comprennent pas et sont étrangères l'une à l'autre, ne partagent pas les mêmes codes. La dialectique noir/blanc omniprésente dans la pièce accuse la différence entre les personnages. La question centrale du père n'est abordée que superficiellement même après quelques jours. Nous assistons à un dialogue en miettes. Même si les deux femmes parviennent à trouver un terrain d'entente, le dialogue n'aboutit à aucune décision concrète.
Le duo joue finalement la scène de la mère baignant la fille : la tante revêt le rôle de terre nourricière, d'une Afrique qui permet la renaissance de la femme redevenue adolescente puis bébé, un bébé étrangement couvert de rides.
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Pistes de lecture
C'est matière à poème (Philippe Jaccottet, à la lumière de l'hiver)
De l'abstrait au concret
De l'idée au tangible
Du mot à la matière
Dans cette langue, les idées prennent corps, non pas dans une corporalité mais dans une réification. L'impasse dans laquelle se trouve le personnage se transforme en absence de matière. Le vide devient un espace où se posent des questions existentielles et identitaires. Etre nu, c'est être nu de différence. La femme souhaite retrouver ses semblables au-delà de la différence : "Je serai comme eux et eux comme moi" (p. 178).
La fange, les cieux, les étoiles sont des repères pour le personnage, faisant ainsi se substituer la matière au factuel. La femme a pour horizon un ciel peuplé l'étoiles, mais celles-ci sont en réalité les "rétines" des autres qui l'enferment dans une identité arbitrairement définie. La couleur de la peau devient un élément déterminant car c'est le signe extérieur de son histoire qui la distingue des autres. Mais la couleur revêt une dimension plus importante en devenant un référent, une échelle de valeur, une mesure :
"Aucune couleur n'est à la taille de ma peau."
"Mais je fuis et partout des cieux noirs blancs sont à mes trousses en hurlant dans mes tympans que la couleur est le barème de l'existence."
"Dis leur que la gueule de l'horizon
Des étoiles
Du soleil
Puait le Noir.
C'est pourquoi aujourd'hui il pleut de l'exil."
La couleur est associée ici à l'odorat pour dépasser la vue. On pense aussi au ciel noir annonciateur d'orage. La réalité météorologique est dépassée dans l'association de la couleur au sens olfactif, chargeant ainsi l'expression d'une signification poétique. La filiation poétique est justement celle qui relie la fille au père. On apprend vers la fin de la pièce que le père était un très bon danseur. Il écrivait des vers avec "ses os, sa chair, ses muscles.". Tandis que lui utilise le corps, elle utilise les mots.
Opération syllogistique
Au fil du texte, plusieurs syllogismes apparaissent.
"Du noir
Noir café
Comme au petit déjeuner
Puisque ici on boit trop de café
Je suis bue tout le temps par toutes les gueules"
La logique d'appartenance qui ici, n'est que "génitale" et non culturelle, suit l'illogisme du passage de la pensée à la matière. Dans son processus de construction, la femme pense que le fait que sont père est africain fait d'elle une Africaine. Mais elle vit en Europe. Cela fait-il d'elle une Européenne ? La solution est plus complexe car elle est métisse. L'abstraction engloutit l'être comme l'Afrique et le déracinement engloutissent son identité. Le titre signale à lui seul ce type de mouvement : "Il pleut de l'exil". Il pleut de l'eau si l'eau fait naître ou pousser la plante, alors l'exil fait renaître la femme. Pourtant, l'immigrée quitte une Europe qui la juge trop noire pour une Afrique qui la juge trop blanche. C'est pourquoi elle rêve d'un monde sans couleur, ni noir, ni blanc et en quête d'une transparence qui la ferait se fondre dans la foule, au point de devenir une ombre, mot ultime de la pièce qui se termine sur une question sans réponse :
"Mais dites-moi madame,
Vous pensez que je suis une ombre d'où ?"
La construction de la pièce suit le même mouvement que le glissement de sens car dès le début de la pièce, on entrevoit l'idée d'un retour.
"Ces adieux. Ces au revoir.
Peut-être
Je ne sais pas." (p. 177)
Tout est dans un mouvement de va-et-vient sans certitude immuable.
Le glissement de sens est également présent dans la polysémie des termes. Dans la phrase, "je suis vos regards" (p. 183), "suis" peut être la 1e personne du singulier du présent de l'indicatif du verbe "être" comme du verbe "suivre". De même, le substantif "case" qui revient à plusieurs reprises, peut tout aussi bien désigner l'habitation africaine qui relie le personnage au monde noir que le compartiment d'une classification, une étiquette sociale qui lui colle à la peau en Europe du fait de son métissage. L'emploi des pronoms possessifs est également ambigu et souligne l'attachement aux deux terres. "C'est beau parce que ma maison est à poil maintenant. Maintenant je vais chez moi" (p. 177). Dans cette formule en chiasme, on retrouve l'expression de la contradiction car le pronom personnel désigne le ici et le là -bas.
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De plain-pied dans le texte
Moi aussi je vous porte dans mes tripes. Comme un bébé égaré qui retrouve sa mère. Mais le bébé n'a pas de langue pour lui dire quoi que ce soit⦠il crie. Et moi je vous crie mes tripes. Sous ces cieux qui ne vomissent que des orages⦠Excusez-moi madame. Je me suis trompée de mère⦠J'ai eu les yeux et le corps couvert de rides⦠Je ne crie pas pour vous emmerder. Non. Je vous crie mes tripes de bébé couvert de rides qui cherche ses parents⦠Mais les orages ont emporté tous les parents et les bébés ne sont plus que des ombresâ¦
(p. 187)
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Pour poursuivre le voyage
Du texte à la scène
La pièce est une commande d'Eva Doumbia (à qui le texte est dédicacé) pour la compagnie La part du pauvre. Elle a été mise en espace par cette dernière au Théâtre du Vieux Colombier en mai 2007 puis mise en scène à la Tempête en octobre 2007 sous le titre Exil 4 avec Nanténé Traoré, Sabine Samba, Salimata Kamaté et Elise Berthelier. Il s'agit en effet du quatrième volet de la tétralogie des migrants après Attitude clando de Dieudonné Niangouna, Tu ne traverseras pas le détroit de Salim Jay et Enquête en zone d'attente d'Anne Leïla Ollivier.
Bibliographie
Sylvie Chalaye, "La fêlure étoilée d'une enfant d'immigré", Africultures, article publié le 14 novembre 2007.
http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=7075 |
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Fiche réalisée par Tiphaine Sintes et Mathilde Jeannez, étudiantes Univ. Paris 3, SeFeA
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