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Fiche pièce
Lettres à l'humanité



L'AUTEUR
Pliya José



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Lettres à l'humanité
Pliya José

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Benjamin Bertocchi, étudiant Master 1, Paris 3


 
2008
Lansman Editeur
 
Genre
Monologue

Nombre de personnages
2 femmes
6 hommes
2 anonymes

Longueur
10 scenes
45 pages


Temps et lieux
De 1916 à 2005, France, Allemagne, Ethiopie (Addis Abeba), Mexique (centre de détention de Nogales).

Thèmes


Mots-clés
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Le texte est constitué de 10 "lettres-monologues" inscrites dans des périodes historiques diverses. Dans la première, Djibrill Diop Mambéty, tirailleur sénégalais, écrit depuis la bataille de Verdun pour demander à un maréchal de rapatrier son corps au Sénégal. Dans la deuxième, Michaël Houston, soldat américain dans la garnison de Duisbourg en 1926, explique au juge du Conseil de Guerre les raisons qui l'ont conduit à fuguer pour retrouver son amante. La troisième raconte comment un Allemand né à Berlin mais originaire du Tanganyika est déchu de sa nationalité et arrêté, conformément à une loi raciste du 27 novembre 1935. Dans la quatrième, une détenue du camp de Ravensbrück témoigne de la relation du bloc à une codétenue noire qui vient de mourir. Dans la cinquième, adressée à Hitler, une militante NSDAP de Duisbourg (l'amante du soldat de la deuxième lettre), tout en assurant son soutien au Führer après le complot raté du 20 juillet 1944, demande en post-scriptum que les enfants qu'elle a eus avec le doughboy en garnison lui soient rendus. La sixième fait part au "Président" Ben Gourion (fondateur puis premier ministre de l'Etat d'Israël) des espoirs du peuple juif éthiopien Beta Israël devant la loi du retour de 1950, mais aussi de leur crainte d'être l'objet de discriminations. Dans la septième lettre, un pied-noir raconte à "Monsieur le Général" la douleur de l'errance où le plonge la fin de la guerre d'Algérie. La huitième est celle de Benicio del Toro, un mexicain retenu dans le centre de détention de Nogales pour immigration clandestine, qui demande à son idole Schwarzenegger de l'aider à passer la frontière américaine. Dans la neuvième lettre, un épistolier anonyme demande au président de la République française de tenir un discours de raison et de réconfort sur les incidents de Clichy-sous-Bois, qui ont vu la mort de deux adolescents cachés dans un transformateur pour échapper à la police, avant d'y joindre une liste de réactions divergentes sur internet. Enfin, la dernière lettre est celle d'un préfet de Gironde qui révèle à une immigrée sans papier, qu'il a expulsée de France, son impossibilité psychologique d'accepter l'absence de pièces d'identité, pour lesquels il nourrit une obsession.

 
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Parcours dramaturgiques

La complexité qu'apporte la forme épistolaire au monologue traditionnel apparaît dans la formulation oxymorique de "lettre-monologue". En effet, l'auteur joue sur la forme dialogale, déjà complexe, de la lettre, tout en privant le lecteur-spectateur de la réponse, constituant de cette sorte le destinataire comme monologueur (ou monologueuse). Cette dialectique entre le dialogal et le monologal confère à l'adresse une ouverture toute particulière : la lettre-monologue est autant adressée au destinataire fictionnel qu'au lecteur-spectateur. La tension laissée par l'absence de réponse ouvre également l'œuvre aux échos qui la traversent et relient les lettres-monologues entre elles. Par exemple, la lettre 2 trouve en la lettre 5 un écho puisque le soldat américain de la lettre 2, Michaël Houston, évoque en 1926 son amante Eva, qu'il est parti rejoindre en s'échappant de sa caserne à Duisbourg, tandis que la destinatrice de la lettre 5, qui signe Eva Krüger, fait mention en 1944 de ses enfants nés environ 18 ans plus tôt d'un soldat américain qui l'aurait "abusée" à Duisbourg pendant l'occupation de la Rhénanie par les Alliés. Cet écho vient compléter les trous laissés dans la fiction par la lettre 2 : si Michaël exprime son désir de ne pas retourner dans le Mississipi lutter contre le zèle d'autres capitaines, c'est la description faite par Eva de ses enfants, "avec à la racine des cheveux le crêpe sombre de leurs origines américaines", qui laisse supposer - s'il s'agit bien du même soldat - que Michaël est afro-américain ; et cette précision éclaire d'un jour nouveau à la fois sa crainte de retourner dans l'Etat du Mississippi, marqué par une ségrégation raciale particulièrement violente, et l'évocation du "zèle d'autres capitaines", c'est-à-dire des anciens contremaîtres, dans les champs de coton, ainsi qu'elle laisse imaginer la nature raciste du "zèle du capitaine Owen", originaire de l'Etat ségrégationniste de la Louisiane, qui l'a dénoncé aux autorités. Cet écho fictionnel offre donc un exemple d'une structure complexe où les lettres se complètent au-delà de temps et de lieux d'émission différents, malgré les non-dits qui requièrent l'imagination du lecteur-spectateur. Les autres échos sont d'ordre thématique (colonialisme, immigration clandestine, discriminations raciales et sociales…), historique (détenus noirs dans les camps de concentration, nazisme…), géographique (Allemagne, Etats-Unis, France…) ou stylistique (répétitions binaires, accumulations, gradations, anaphores, ellipses rhétoriques, accélérations, rythme lapidaire…). Ils concourent tous à l'unité de l'œuvre au sein même de sa plurivocalité. Les Lettres à l'humanité se construisent ainsi comme une partition musicale faite de reprises de thèmes, de résonnances mélodiques, où chaque lettre-monologue complète une autre et s'inscrit dans le tout.

 
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Pistes de lecture

Dialectique du dialogal et du monologal : présence-absence du destinataire
La lettre-monologue permet l'inscription du dialogique dans le monologal. En effet, par sa nature adressée la forme épistolaire procède d'une construction dialogale particulière, tandis que l'absence de réponse laisse seul le destinateur et l'accumulation de lettres sans réponse construit les paroles destinatrices comme monologales. Pour autant, ces paroles ne sont pas monologiques puisqu'elles englobent la présence de destinataires - dont l'existence est ainsi uniquement discursive - en conservant les traces du dialogue (marqueurs grammaticaux de la deuxième personne, modalités interrogative et jussive, apostrophes, etc.).
Les Lettres à l'humanité se basent donc sur une présence-absence des destinataires, comme dans d'autres œuvres de José Pliya - le discours qu'adresse Elizabeth à son frère incapable de parler, dans La Sœur de Zarathoustra, ou celui que tient Vido à la Mère alors qu'elle est déjà morte, dans Le Complexe de Thénardier. Dans ces lettres-monologues, la présence-absence conditionne un espace de libération de la parole : le destinataire occasionne l'apparition de la parole, tandis que son mutisme et son absence physique semblent annuler l'obstacle qu'il pourrait constituer pour la parole. Les lettres adressées à des personnalités influentes (un maréchal de la Grande Guerre, Hitler, Ben Gourion, le Général de Gaulle) opèrent, au fur et à mesure que la parole se déploie, un effacement de l'autorité du destinataire, et dans le même temps le scripteur se départit de la prudence respectueuse qu'impose le statut social du récepteur.
Par exemple, le corps de la lettre 5 est uniquement composé du soutien qu'exprime Eva au destinataire Hitler, de manière très compassée, usant de toute l'obséquiosité et des formules racistes attendues ; mais la signature est aussitôt suivie d'un post-scriptum, qui s'avère plus long que la lettre, où la femme abandonne l'obséquiosité creuse pour exprimer sincèrement son désir de retrouver ses enfants, qui lui ont été retirés dix ans plus tôt, dont on découvre qu'ils sont la seule motivation de son engagement au NSDAP, comme elle le révèle dans le parallélisme final des formules lapidaire qui résument son engagement dans une gradation :
"J'ai payé pour ça.
Je me suis inscrite au parti.
J'ai milité.
J'ai fait la propagande.
J'ai endoctriné les enfants d'autrui.
J'ai dénoncé.
J'ai massacré.
Tout ça pour mes enfants. Pour qu'on me rende mes enfants"
Cette révélation, qui s'avérerait trop dangereuse dans un véritable dialogue, débute par : "Je saisis l'occasion de cette lettre". Ainsi la lettre-monologue éloigne le scripteur du temps historique linéaire pour le faire entrer dans un temps d'ordre kairologique, c'est-à-dire un temps qui ouvre les possibles contenus dans l'occasion qu'il offre à saisir. Mais cette ouverture ne cache pas pour autant l'impossibilité auquel se confronteraient les personnages dans le temps ordinaire du dialogue ; au contraire, elle dénonce la violence qu'impose le possesseur du pouvoir symbolique dans les confrontations de langage (cf. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique), la suspension des hiérarchies sociales qui étouffent la voix des oubliés de la grande Histoire - non pas les sans-voix mais les privés-de-voix - dénonce précisément cette privation qu'imposent les rapports de domination.
Ainsi, la présence-absence du destinataire dans la lettre-monologue structure un espace de prise de parole utopique sur l'abolition des hiérarchies sociales qui déséquilibrent et faussent le dialogue, offrant paradoxalement les possibilités d'un dialogue plus juste.

Dialogisme et polyphonie
Le caractère dialogique est également pris en charge par le scripteur du monologue à travers les paroles qu'il rapporte et les divers points de vue qu'il juxtapose. Ainsi le scripteur de la lettre 9 juxtapose en une longue série des réactions "pêchées sur la "toile"" ; ou bien celui de la lettre 3 retranscrit un dialogue entier qu'il a eu avec un officier allemand. La lettre 1 offre un autre exemple de dialogisme : le tirailleur sénégalais mentionne les propos de son ami Fabien qui "palabre bien" et lui dit que "les Gaulois ne sont pas sénégalais" ; faisant part du doute instillé par son ami et par "Jacques et André et Anatole au long des nuits de palabres", le tirailleur sénégalais rapporte alors la voix de ses semblables en affirmant "Nous ne sommes pas français" puis se reprenant aussitôt pour préciser qu'il ne fait que répéter ce qui se dit ; ces paroles répétées envahissent en fait son propos du premier lapsus ("en France, en terre étrangère") au discours direct libre qui efface les frontières entre sa parole et celles qu'il rapporte, contradictoires avec la sienne ; de fait, sa demande d'être enterré au Sénégal semble atteinte par ce trouble qu'apporte le dialogisme dans son discours puisqu'il cristallise le conflit intra-personnel entre ses anciennes certitudes patriotiques et les discours opposés de ses frères d'arme qu'il juxtapose à la sienne dans le monologue dialogique. Sa requête se charge donc de toute l'ambiguïté laissée par l'intrusion d'autres paroles dans la sienne. De ce fait, Djibrill Diop Mambéty a quelque chose de ce "héros du sous-sol" que décrivait Bakhtine chez Dostoïevski : "il s'observe comme à travers un miroir, dans les consciences d'autrui […]. Sa conscience de soi vit de son inachèvement, de son ouverture, de son absence de solution." (Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, 1970. p. 90). Djibrill est bien ce personnage ouvert à ses multiples reflets contradictoires que lui apportent les autres (palabre des soldats français et des tirailleurs sénégalais, écoute du maréchal présent-absent) et qu'il fait coexister dans son discours. Chacun de ses mots est alors envahi par une polyphonie - ici comprise comme polysémie et dans son sens musical contrapunctique de la simultanéité des voix, différente de la juxtaposition du dialogisme. Les mots et les formules semblent frémir d'une démultiplication de sens, ou du moins d'un soupçon jeté sur leur définition stable : le lapsus sur la France comme "terre étrangère" est ainsi suivie d'un raisonnement dont la formulation machinale trahit son origine apprise - donc dialogique - qui, loin de l'effet escompté, renforce le doute en réinterrogeant les mots : "L'Allemagne est en guerre contre la France. / La France est un empire. / L'empire est fait de colonies. / Les colonies sont françaises." S'il existe une hiérarchie entre l'empire et les colonies inscrite dans les mots, alors le même terme de français ne désigne pas la même réalité selon qu'il s'applique à un bourguignon ou un sénégalais, et dissimule un rapport de domination ; de même, si l'Allemagne est en guerre contre la France, est-elle en guerre contre l'empire ou contre la métropole ? Cette interrogation hypothétique entre en écho avec une question qu'il rapporte des tirailleurs sénégalais : "Qu'est-ce qu'on fout là ?". Si ces doutes hypothétiques ne sont pas formulés dans le texte, ils semblent contenus dans les mots et dans la maladroite insistance du scripteur sur son patriotisme français qui trahit un trouble face à l'intrusion de la polyphonie dans son discours. "Le mot s'avère, dans la bouche de l'individu, le produit de l'interaction vivante des forces sociales." (Mikhaïl Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, Bibliothèque des idées, 1984, p. 328). Le dialogisme et la polyphonie construisent donc des personnages, à l'instar de Djibrill, comme sujets divisés, interrelationnels. Le je de l'instance énonciative n'est donc jamais monologique, mais il éclate au contraire de la pluralité des voix qui le compose.

Résonnances humaines : la parole-mouvement
"Sapiens est par définition un migrant, émigrant, immigrant" (E. Glissant et P. Chamoiseau, Quand les murs tombent. L'identité nationale hors-la-loi ?, Paris, Editions Galaade/Institut du Tout-Monde, 2007, p.7).

Si, comme on l'a vu, le dialogisme et la polyphonie diffractent la parole énonciatrice en une pluralité de voix, la parole se trouve également ouverte par le cadre épistolaire dans lequel elle s'inscrit. La lettre se définit par sa tension entre son lieu de départ et son lieu d'arrivée. Or, le lieu d'arrivée de ces lettres-monologues importe généralement peu, soit que l'on sait qu'elle ne sera pas lue par le destinataire aux "multiples occupations" (lettre 1), soit qu'elle ne s'adresse à personne en particulier (le "vous" de la lettre 4 écrite depuis le camp de Ravensbrück qui étouffe d'ailleurs tout espoir de sa réception), soit qu'elle s'adresse à une personne dont la situation est inconnue (lettre 10). Dans cette dernière lettre, le préfet fait part à la jeune expulsée de son angoisse quant aux sans-papiers parce qu'ils empêchent son plaisir de violer l'intimité de l'autre ; cette angoisse de l'inconnu, du fuyant, du non-identifiable, qui laisse seul le préfet dans sa névrose, achève l'œuvre sur un exemple de la solitude et de la folie dans lesquelles plonge la crispation identitaire ; le préfet final illustre le contraire des autres destinateurs riches de leurs doutes et de leurs désirs dans leur quête d'identité. C'est bien la quête qui faisait leur richesse parce qu'elle conditionnait leur ouverture, tout comme c'est le mouvement qui fait la richesse de la lettre-monologue, son tâtonnement vers un récepteur plutôt que son arrivée précise. L'entre-deux sur lequel repose la lettre devient dans la lettre-monologue un "entre-multiple", où aime à se définir José Pliya lui-même (Chalaye, Sylvie, "José Pliya : inventer sa langue", entretien, in Afrique noire et dramaturgies contemporaines : le syndrome Frankenstein, Editions Théâtrales, Paris, 2004, p.94). Et dans la quête qui met les destinateurs en mouvement, l'autre est indispensable, comme on l'a vu au sens où sa voix est investie dans la parole du locuteur, mais aussi au sens où l'autre est l'objet du désir : le soldat Michaël préfère l'identité de son amour pour Eva à celle de sa condition d'Afro-Américain au Mississippi, tandis que la seule motivation qui habite Eva dans l'identité politique qu'elle emprunte est son amour pour ses enfants qu'elle veut retrouver. Le désir s'exerce également sur des lieux géographiques quand ils sont synonymes d'avenir radieux : Israël pour les juifs de Beta Israël (lettre 6), les Etats-Unis pour le Mexicain Benicio del Toro (lettre 8). Le désir comme abandon du passé et tension vers l'avenir construit des identités-mouvements ; le désir comme choix de l'autre dessine des "identités relations" (E. Glissant et P. Chamoiseau, ibid.).

 
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De plain-pied dans le texte

Lettre 1 :
Vos silences ne me gênent pas. Ils me rappellent ceux de mon grand-père, un homme sage, juste et humain, qui ne parlait pas beaucoup mais qui savait écouter.
Je sais que vous m'écoutez et cela me va.
Alors si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais vous écrire une dernière fois et vous, vous allez m'écoutez.
Une dernière fois.
(p.7)

Lettre 4 :
"Il y avait des épices dans ces mots torrentueux, des épices, de la coriandre, des jonquilles et des couleurs mauves et puis des caravanes qui passent au loin sous un soleil décoré. Elle hurlait, elle tempêtait, debout, le port altier, à s'en exploser la gorge et nous, nous fléchissions des yeux sous son autorité. Et nous avons pleuré et nos cœurs ont éclaté de joie pour ce chant profane, pour cet alléluia barbare et qui le temps d'une engueulade nous donnait du bonheur. Un bonheur infini.
Et puis elle s'est tue. Silence. Elle est sortie. Elle a titubé. Elle est tombée. Blanchette est morte. Une Négresse est morte. Qui était-elle ? D'où venait-elle avec ce nom imprononçable ? Nul ne le sait. Mais après tout : quelle importance ? Un mort de plus, un mort de moins en 1943, qu'est-ce que ça veut dire à l'échelle de l'humanité ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Rien, absolument rien. Pourtant nous, nous qui l'avons vue mourir, nous qui l'avons vue s'incliner la tête la première dans le champ blanc du camp de Ravensbrück, nous pouvons témoigner qu'il n'y a rien de plus insolite qu'une femme noire effondrée dans la neige en hiver."
(pp.21-22)

 
 
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Pour poursuivre le voyage


Du texte à la scène
Le texte a d'abord été réalisé pour répondre à une commande du quotidien L'Humanité, passée en 2004 à dix auteurs francophones (Aurélie Filippetti, Nathalie Fillion, Carole Fréchette, Mohamed Kacimi, Suzanna Lastreto, Fabrice Melquiot, Eddy Pallaro, José Pliya, Jean-Pierre Siméon, Elsa Solal) pour célébrer les cent ans du journal. Portant sur un thème lié à une période entre 1904 et 2004, les écrits réalisés ont alors été joués à deux reprises à l'espace théâtre de la Fête de l'Humanité, sous le titre Fragments d'humanité, mis en scène par l'écossais Michael Batz qui affirmait à l'occasion : "Une des missions du théâtre est de garder la mémoire, de garantir qu'elle ne tombe pas dans l'obscurité et de l'arracher à ceux qui font tout pour qu'elle soit oubliée" (http://www.humanite.fr/node/308413) L'ensemble, dont "la fragmentation est délibérée" (Michael Batz) a ensuite été publié sous le même titre aux éditions Lansman. Cette commande se conjugua avec la préoccupation de José Pliya d'écrire sur les détenus noirs dans les camps de la mort, née en 2002 de sa découverte du documentaire Noirs dans les camps nazis du journaliste ivoirien Serge Bilé. Mais comme l'affirme José Pliya en préambule à la publication de 2008, la contrainte de la forme brève l'amène à "élargir à la fois les épistoliers (pas uniquement des Noirs) et les époques (de la Première Guerre mondiale à la fondation d'Israël)." Après la création à la Fête de l'Humanité du texte composé de 6 lettres, le metteuse en scène Sophie Akrich, qui les met en lecture au musée Dapper, demande ensuite à José Pliya d'écrire 4 autres lettres entre la fondation d'Israël et la période des années 2000 pour compléter la fresque du siècle. Le résultat est créé au théâtre Le Lucernaire à Paris le 22 octobre 2008 et publié la même année, à nouveau aux éditions Lansman, sous le titre Lettres à l'humanité, "non seulement pour laisser une trace du spectacle créé, mais aussi pour offrir à la lecture des jeunes générations scolaires et théâtrales une matière brute qu'elles pourront avoir envie d'explorer, de jouer, de discuter et de remettre en contexte avec l'aide de leurs parents et enseignants" (José Pliya, Lettres à l'humanité, "Faire entendre la voix des exclus…", Lansman, Carnières-Morlanwelz, 2008, p.6).

Bibliographie
Bérard, Stéphanie, Le Théâtre-Monde de José Pliya, Honoré Champion, coll. "Francophonies", Paris, 2015.

Chalaye, Sylvie, "José Pliya : inventer sa langue", entretien, in Afrique noire et dramaturgies contemporaines : le syndrome Frankenstein, Editions Théâtrales, Paris, 2004, pp.91-94.

""Un auteur du Tout-monde", entretien de Sylvie Chalaye avec José Pliya, novembre 2002", Africultures n°54, L'Harmattan, France, mars 2003.

 
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Fiche réalisée par Benjamin Bertocchi, étudiant Master 1, Paris 3

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