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Fiche pièce
Bintou



L'AUTEUR
Kwahulé Koffi



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Bintou
Kwahulé Koffi

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Sylvie Chalaye


  Côte d'Ivoire
1997
Editions Carnières, Lansman, 1997
 
Genre
Tragédie

Nombre de personnages
8 femmes
8 hommes


Longueur
7 tableaux
46 pages


Temps et lieux
Banlieue urbaine

Thèmes
Excision , Crise d’adolescence , Délinquance , immigration , cité

Mots-clés
immigration
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Bintou est une gamine de treize ans, "poussée envers et contre tous sur le froid béton d'une cité" (p.5). Fleur urbaine et sauvage, à peine éclose et déjà endurcie par la vie, elle mène un gang, couteau au poing, nombril à l'air, et sait qu'elle ne verra jamais éclore ses dix-huit ans. Elle a pourtant un rêve : devenir danseuse du ventre.
Fille d'immigration, Bintou a grandi dans une famille africaine mais n'a d'autres repères que ceux de la cité. A côté d'un père démissionnaire qui a perdu la face en perdant son emploi et qu'on ne voit jamais, d'une mère épuisée par les ménages, d'un oncle incestueux, empli de désirs refoulés et tout raidi de préceptes moraux hypocrites, d'une tante jalouse que la stérilité a aigri, Bintou s'est construit un palais des mille et une nuit où elle danse à perdre haleine entre Manu l'Européen, Kelkhal le Maghrébin, Blackout l'Africain, ses "rois mages fous" (comme les surnomme P'tit Jean, le junkie). Tous suivent sa lumière et sont prêts aux offrandes les plus terribles, même si la comète file sur l'autoroute à contre sens dans la nuit, à 200 à l'heure, à bord d'une "tire volée", même si les étincelles, sont celles du feu d'un AK47, ou celles du lycée qui flambe.
Mais on ne retient pas une étoile filante ! Même une fois la grande résolution prise, même une fois le voyage ancestral accompli sur la lame du couteau de Moussoba, l'exciseuse à laquelle la famille a fait appel pour "ramener" Bintou, le poisson étincelant glisse encore entre les doigts : "Que la nuit seule soit témoin de ce drame. Lavez le sang et creusez la tombe ici. Personne n'aura l'idée de fouiller à l'intérieur même de la maison." (p. 45)

 
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Parcours dramaturgiques

La cité fait son cinéma
Plusieurs aspects de la dramaturgie reposent sur la tradition du conte. Dès l'ouverture de la pièce, l'aventure tragique de Bintou nous est racontée à la façon d'une épopée fulgurante, comme si le choeur entonnait la parole d'un griot. Mais, ce choeur qui expose et commente l'action, qui cristallise les angoisses, les peurs et la menace qui rode n'est pas sans faire penser au choeur du théâtre antique. Il est l'esprit de la cité, le témoin du drame et incarne la tension dramatique même. Au delà de cette dynamique narratives, la parole se fait images et l'histoire avance selon des procédés cinématographiques, des jeux de flash-back où la linéarité du récit cède la place à une temporalité faite d'emboîtements et de concomitances. Finalement l'histoire de Bintou se construit par fables successives, comme des évangiles. En dépit de la brutalité des situations que revivent les personnages pour évoquer les miracles de Bintou, on aperçoit toujours la fragilité de l'enfance sous l'armure et les fêlures qui les déconstruisent et craquellent le béton des cités. Pour vaincre ces frustrations quotidiennes qui anéantissent l' estime de soi, ils jouent leur vie : ils la jouent à la roulette russe et la fabulent comme au cinéma. Manu qui a peut-être arrêté le crack pour elle, Okoumé qui a peut-être tué pour elle, Kader, le "bon élément" qui écrivait des poèmes pour elle, P'tit Jean, le mercenaire de la cam, qui voyait une sainte en elle... ces apôtres déboussolés "qui ont suivi une fillette jusqu'aux falaises de l'absurde" (p. 15) sont l'expression d'une adolescence sacrifiée que la société ne comprend plus.




L'invention d'un mythe
"Princesse lune, secrète et mystérieuse, poisson ondoyant de sensualité, elle entraîne dans son sillage la meute des désirs mâles, envoûtés par les transes du petit corps nubile d'une Salomé céleste. Autour de son nombril, gravitent les planètes de trois jeunes rois de la cité, Manu l'Européen, Kelkhal le Magrébin, Blackout l'Africain, dévolus au culte de Bintou, leur déesse de la révolte, sans- culotte aux jupes trop courtes et aux cuisses veloutées." écrit Alix de Morant dans Cassandre pour tenter de définir la fascination équivoque que Bintou exerce sur son entourage.
Bintou apparaît comme une figure légendaire et mystique portée par la dévotion de ces mages : c'est le regard des autres qui la rêve, la fabule, la fantasme. Personnage messianique, comme un Christ, elle sera immolée sur l'autel de l'hypocrisie, érigée en valeur salvatrice. P'tit Jean, le junkie aussi décervelé qu'illuminé, a rencontré la sainteté de Bintou, mais il est aussi celui qui la trahit :

"J'ai rencontré Bintou, ‘man. Lorsque je lui ai baisé les pieds, c'est pas ce que les gens croient. C'est pas du tout ce que les gens croient. Ce sont des histoires ce qu'on raconte sur elle, ‘man ! Elle nous a tous tellement aimés qu'elle a fini par nous détester. Mais même dans sa haine, il y a encore suffisamment d'amour pour sauver le monde... Lorsque je lui ai baisé les pieds, j'ai été comme touché par la grâce, comme si j'avais dit une prière juste..." (p.26)

 
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Pistes de lecture

Gangrènes urbaines
Si le drame de l'excision est le sujet de la diégèse réaliste et sociale de la pièce, il n'est finalement que le symptôme d'une maladie tragique qui ronge les sociétés modernes, cette crise urbaine dont se repaît le fatalisme des médias qui n'en donnent à voir que la surface spectaculaire. Ce sont ces violences ordinaires qui ravagent la cité que met en scène Bintou : violence d'une jeunesse délinquante qui met le feu au lycée et laisse ses cadavres au coin de la rue, mais aussi violence privée qui lève le couteau sur une fillette et ses cadavres, les enterre à la cave. L'une explose et fait des étincelles, l'autre suinte et étouffe... et quand ces deux violences se rencontrent, c'est une tragédie antique qui se dresse, une tragédie qui, au coeur de la modernité, met à vif le nerf de l'archaïsme.


Une madone d'Apocalypse
Au delà du fait divers, se dégage une parabole d'une grande force. "L'histoire de Bintou, agneau sacrificiel d'une société qui la désire jusqu'à la tuer, en tentant de réduire son incontournable vocation à la beauté et à la liberté à travers le rite de l'excision, n'est pas un drame de dénonciation sociale, ou un drame ethnique comme la nature des personnages pourrait aisément le laisser supposer", notait Daniéla Giordano qui a mis en lecture la pièce à Gène en 2000. "Bintou représente l'individu exceptionnel de toutes les époques et de toutes les latitudes, et on ne doit pas s'étonner de la symétrie qu'on peut établir avec l'histoire du Christ, en vertu de laquelle on reconnaît les prêtres possesseurs de la loi des pères (la famille de Bintou : la mère, oncle Drissa, tante Rokia), les apôtres (la bande des lycaons : Manu, Kelkhal, Blackout, qui eux aussi, comme les apôtres, se rebaptisent avec de nouveaux noms), Judas, celui auquel l'histoire a confié la tâche de trahir (P'tit Jean, le jeune drogué)."
Et l'excision-crucifixion que subit Bintou prend un sens symbolique qui dépasse celui du rituel de "la potière" Comme l'écrit Alix de Morant "le sexe de Bintou, c'est sa bouche d'où coule une parole libre et insolente, qui torpille la médiocrité des siens. Le sexe de Bintou est un soleil éblouissant qui arrache les paupières des hommes, vrille comme une plaie dans leur bas ventre et brûle leur cervelle. Il faudrait lui voiler la face. Le sexe de Bintou est un couteau dont on veut émousser le tranchant.".
Car la voie que Bintou a choisi se veut libre, sans entrave, sans voile comme son nombril ou son sexe. Elle sait qu'elle va mourir : "J'ai treize ans. Je sais que je ne verrai jamais éclore mes dix-huit ans, mais ça ne me fait rien." (p. 26) Elle sait que refuser les compromis, refuser l'ordre, avancer à contre-courant du flux des hypocrisies modernes, c'est braver la mort :
Bintou est une figure d'absolu qui a la séduction de la mort et fascine une jeunesse à qui la société, engluée dans ses perversions consuméristes, n'est plus capable de fournir aucun principe, aucune valeur inaliénable. Elle se fait entendre parce qu'elle profère une parole tranchante et débridée sans muselière comme sa beauté, sexe et nombril au vent ; parole juste, droite, entière, inaccessible aux compromissions, parole qui pousse sur l'épais fumier de l'obscénité du monde, parole drue et sauvage mais dont la société coupera la tige avant qu'elle ne se dresse et s'épanouisse pleinement. Bintou est une Madone d'Apocalypse, l'incarnation désespérée d'une jeunesse qui cherche la transcendance dans cette résonance du vide qu'est la violence.

 
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De plain-pied dans le texte

"Une fois sur l'autoroute, elle me dit : Prends l'autre voie. Mais c'est en sens interdit, je lui réponds. Alors, prends le sens interdit, elle me dit. Les voitures klaxonnent de partout, tu vois, mais en s'écartant. Je lui dis qu'il finiront par nous rentrer dedans, mais elle répond que non, qu'ils tiennent trop à leur putain de vie pour oser une chose pareille. Plus vite ! elle me fait. Je dis : je ne peux pas aller plus vite. Alors, elle glisse sa jambe entre mes cuisses, repousse mon pied et pose son pied sur l'accélérateur. Et comme elle a les jambes écartées et que sa robe est trop court comme d'habitude, je vois qu'elle n'a rien.... C'est pas que j'en ai jamais vu... non c'est pas ça, tu vois,... mais là; en pleine autoroute, à fond la caisse, en sens interdit, avec tous ces klaxons, j'ai cru qu j'hallucinais. Bintou, on va se tuer !, je lui dis. Et tu sais ce qu'elle me répond ? Crois-tu qu'il y ait une façon plus excitante de mourir ? Et elle enfonce le reste du champignon dans le ventre de la tire." (p.17)

 
 
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Pour poursuivre le voyage


"L'histoire de Bintou, agneau sacrificiel d'une société qui la désire jusqu'à la tuer, en tentant de réduire son incontournable vocation à la beauté et à la liberté à travers le rite de l'excision, n'est pas un drame de dénonciation sociale, ou un drame ethnique comme la nature des personnages pourrait aisément le laisser supposer. Bintou représente l'individu exceptionnel de toutes les époques et de toutes les latitudes, et on ne doit pas s'étonner de la symétrie qu'on peut établir avec l'histoire du Christ".
Daniela Giordano, Théâtre/Public, N°158, mars-avril 2001.


Pour aller encore plus loin :

- CHALAYE Sylvie, "A propos de Bintou de K.Kwahulé : entretien avec Gabriel Garran", inThéâtre/Public, n°144, novembre-décembre 1998, pp. 36-39..
- RASCHI Natasa, "Bintou", in Notre Librairie, n° 135, sept.-déc. 1998, p.86.
- DE MORANT, Cassandre, n°15, "Afrique noire et blanche", mai 1997.
- Beatrice Eichmann-Leutenegger, Neue Zürcher Zeitung du 30 avril 2002
- Lyn Gardner, The Guardian du 31 juillet 2002.

 
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Fiche réalisée par Sylvie Chalaye

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