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Fiche pièce
Béatrice du Congo



L'AUTEUR
Dadié Bernard B.



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L'agenda du moment autour de la personne/l'oeuvre

 

 
 
 
       
       
       
Béatrice du Congo
Dadié Bernard B.

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Koffi Kwahulé


  Côte d'Ivoire
1969
Editions Présence africaine, 1970
 
Genre
Drame historique

Nombre de personnages
4 femmes
16 hommes
(Plus des soldats et la foule). Une trentaine de personnages au total.

Longueur
3 actes
137 pages


Temps et lieux
Fin XVIIe siècle et début XVIIIe siècle en Europe et au Congo.

Thèmes
Colonialisme , résistance , Despotisme

Mots-clés
bûcher , Congo , évangélisation , Jeanne d’Arc , martyr
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Grisé par la victoire de ses troupes sur les Maures qui occupaient son royaume, Henri le roi du Bitanda (le Portugal), décide de conquérir le monde. Malgré les exhortations à plus de retenue du capitaine Diogo, Henri envoie une armée, conduite d'ailleurs par Diogo, à la conquête du monde.
C'est ainsi que les Bitandais débarquent à MBanza Congo, capitale du Zaïre, afin d'établir des liens de coopération.
La coopération devient de plus en plus effective et le Bitanda dépêche auprès du Mani Congo (le roi du Zaïre), des spécialistes en tout genre. Le Mani Congo se convertit même au christianisme.
Mais une jeune prophétesse zaïroise, Dona Béatrice, s'aperçoit que sous le couvert de la coopération les Bitandais colonisent peu à peu le Zaïre. Elle se rend chez le Mani Congo afin de le raisonner. Mais ce dernier continue à faire confiance aux Bitandais. Devant l'entêtement du Mani Congo, Dona Béatrice exhorte le peuple au soulèvement.
Finalement, le Mani Congo se réalise que les Bitandais se sont servis de lui pour coloniser son royaume. Il fait venir Lopez et Promesse, deux de ses conseillers bitandais, pour leur signifier qu'il met fin à la "coopération". Mais Lopez et Promesse l'assassinent.
Dona Béatrice est arrêtée par les Bitandais pour divergences religieuses et politiques puis condamnée au bûcher.

 
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Parcours dramaturgiques

En octobre 1969, la fissure apparaît avec Béatrice du Congo. Déjà en mars de la même année avec Les Voix dans le vent, qui obéissait encore à la même démarche que Monsieur Thôgô-gnini, on assistait à un dérèglement de ce héros, de cet espace et de ce temps monolithiques : le protagoniste était fou, l'espace s'évanouissait comme dans un rêve et à force d'être accéléré, le temps donnait souvent l'impression d'être un condensé de temps, la pièce d'autre part commençait par une mise en abîme.
Avec Béatrice du Congo, outre Dona Béatrice, le Mani Congo et Diogo peuvent revendiquer le statut de personnage central. Nous choisirons le Mani Congo car le personnage-titre, Dona Béatrice apparaît très peu. On peut même dire que de même que N'Zékou "le petit gentil" sert de faire-valoir au "gros méchant" Thôgô-gnini, que Moyse et Dessalines les "révolutionnaires purs et durs" servent de révélateurs, au sens photographique du terme, des doutes et des compromis (souvent humiliants pour la révolution haïtienne) de Toussaint Louverture, de même Dona Béatrice exhibe par son élan révolutionnaire les aliénations culturelle et politique d'une Afrique ubuesque symbolisée par le Mani Congo.
Le Mani Congo est roi, un homme d'Etat qui, contrairement à Thôgô-gnini, parle et construit un monde au nom des autres. Le personnage s'est par conséquent vidé de toute subjectivité. L'individualité ici s'est muée en un égoïsme instinctif qui lui fait passer les intérêts de l'Occupant (qu'il croit les siens) avant celui du peuple. Aussi s'est-il fragmenté entre celui qui est appelé à servir le peuple, et celui qui sert l'Occupant. Cette fragmentation dans le personnage répond en fait à la fissure qui vient de s'opérer dans l'espace. Il n'est plus Un mais deux : le Zaïre et le Bitanda, l'Afrique et l'Europe. Du coup le temps et l'espace échappent au Mani Congo. Par exemple, alors que le temps s'arrêtait avec l'arrestation de Thôgô-gnini et la chute de Nahoubou 1°, la pièce ici se poursuit après la mort du Mani Congo. Désormais l'espace et le temps appartiennent à l'histoire, et les scènes sont simultanées ou se bousculent comme pour se disputer la scène.

 
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Pistes de lecture

La transposition dramatique de l'histoire
Les drames historiques -ce sont toujours des drames- ne sont pas des thèses d'histoire, mais des oeuvres qui tentent de proposer aux Africains des personnages idéalisés, mythifiés. Pour ce faire, l'écrivain n'hésite pas à embellir ou à enlaidir, à ajouter ou à gommer, à noircir ou à blanchir les personnages selon qu'ils sont oppresseurs ou oppressés, c'est-à-dire ici, Blancs ou Noirs.
Béatrice du Congo (même s'il est manifeste que le camp de Dadié est celui des opprimés) échappe au manichéisme propre aux pièces de la même période (1966-1971) : on rencontre des "bons" et des "méchants" aussi bien chez les oppresseurs que chez les opprimés. Car au-delà de son intention de fournir un témoignage sur l'histoire du vieux continent, et de ses préoccupations "négritudiennes" (création de mythes, revalorisation des valeurs négro-africaines...), Dadié jette un regard sans complaisance, sans faux-fuyant, sur les réalités de l'Afrique contemporaine : le colonialisme, profitant du grotesque des dictatures africaines, a accouché du néocolonialisme. Plus que la dictature coloniale, c'est le burlesque de certains chefs d'état africains qui est dénoncé.
La pièce, selon la tradition du genre, n'est pas psychologisante. Il n'y a ni intrigue, ni suspense. L'essentiel du discours est contenu dans ce que représentent les personnages qui, à une ou deux exceptions près, sont sans nuance, tout d'un bloc, archétypiques. Aussi est-ce par l'analyse délibérément subjective que fait Dadié des personnages et des événements objectifs, que nous tenterons d'appréhender sa position.
Seuls les personnages jugés -arbitrairement- importants seront analysés.

DIOGO ou le garant de la Conscience européenne.
Ce personnage est librement inspiré de Diego CAO, le premier Portugais qui débarqua au Congo en 1482 à Mpinda, port situé sur la rive gauche du fleuve Zaïre. Il est en quelque sorte "l'ancêtre" des Européens au Congo. C'est avec lui (comme dans la pièce) que commença l'aventure coloniale dont les Congolais portent aujourd'hui encore les séquelles. Néanmoins Dadié en fait un personnage relativement positif. Il est "le bon Blanc". Antithèse du roi Henri, attaché aux dogmes et au protocole de son statut de roi, il est la face humaine de l'Europe. A l'Acte I, cette séparation des valeurs transparaît : (La pièce s'ouvre sur la victoire des Bitandais sur les Maures).
HENRI : La leçon de Ceuta ? Elle est simple. Aucun tyran si puissant soit-il ne peut durant des siècles opprimer tout un peuple.
DIOGO : Finis les enlèvements, les emprisonnements, l'insécurité...
HENRI : La liberté reconquise... Tous ces biens à nous, sans partage, la Terre...
DIOGO : Nôtre.
HENRI : Le Ciel...
DIOGO : Nôtre... Enfin travailler pour soi, peiner pour les siens et non plus pour d'autres et leurs enfants...
HENRI : Renverser le cours de l'histoire... DIOGO : Danser pour soi, pour les siens et non plus pour distraire un occupant ; planter des fleurs pour notre plaisir et non plus pour celui d'un maître.
On peut noter qu'alors que Henri se préoccupe des valeurs plus ou moins abstraites (Siècles-Liberté-Terre-Ciel-Histoire), Diogo s'attache au quotidien des emprisonnements, de la danse ou du travail. Les deux personnages forment les deux faces complémentaires d'une même permanence : Henri incarnant la Transcendance et Diogo l'Immanence. Il n'y a donc de notre part aucune intention de valoriser l'un par rapport à l'autre. Néanmoins, lorsqu'avec la démesure qui lui est propre, Henri décide de conquérir le monde au risque de ruiner ses sujets, et que Diogo interroge : Pouvons-nous, seigneur, voler des chrétiens, dépouiller des chrétiens, affamer des chrétiens ? Quelle fortune en ce siècle peut s'édifier qui ne soit au détriment des autres ? (Acte I), on peut dire que le concret cerne l'abstrait, la raison la folie, que Diogo s'oppose en humaniste : Majesté, je vous apporte certes un royaume, mais est-il impérieux de troubler des peuplades dans leur quiétude ? (...) A les voir vivre, je me suis posé beaucoup de questions. Je me suis dit : la société dans laquelle tout le monde est heureux ne saurait-elle être chrétienne ? (Acte I). (Pour complément, voir les pages 55 et 56 où Diogo, dans une espèce de transe, se fait l'apôtre de la Négritude).
En plaçant dans la bouche d'un Blanc des propos négritudiens, l'auteur tente de faire accepter la Négritude comme une attitude objective, et non comme le fruit de la subjectivité et du narcissisme du Nègre.
D'autre part, sur un plan purement dramaturgique, Diogo rétablit l'équilibre face au Roi et ses courtisans (négatifs). Avec lui, Dadié conteste l'idée trop souvent véhiculée par le théâtre et la littérature négro-africains en général, qui veut que le racisme et le colonialisme soient inhérents à la race Blanche. Dès le début de la pièce, le peuple bitandais (portugais) sort-il pas lui-même de la colonisation maure ? Tout peuple mystifié peut, s'il en a les moyens, devenir colonialiste. Bref, face à cette Europe qui recommande : "Il ne faut pas que dans le mot de "civilisation" vous fassiez passer la notion de "relativisme culturel", parce que nous ne pourrions plus justifier notre action (...) ; il faut que ce mot de "civilisation" reste comme un absolu et non quelque chose de relatif", face à cette Europe-là, Diogo, à l'image du Christ prenant sur lui les péchés du monde, Diogo prend en charge la mauvaise conscience que la logique colonialiste refuse d'admettre. Et c'est cette croix qui paradoxalement fait de Diogo, le garant de la Conscience européenne.

Le MANI CONGO, tyran et pantin
Historiquement, ce personnage n'existe qu'en tant que point de convergence de plusieurs rois. En effet, pendant la période qui est rapportée dans la pièce (fin 17° siècle et début 18° siècle), le royaume du Kongo n'est dirigé par aucun roi et, sous l'effet des guerres tribales entretenues par les colons, le royaume se trouvait morcelé. Or Dadié nous montre un royaume uni avec un roi unique. En réalité, ce personnage est le condensé de trois cents ans de présence coloniale portugaise au Kongo : de Zingha a Nkuwu (mort en 1506) à Agua Rosada dit Pedro IV (18° siècle) en passant par Affonso 1° qui régna de 1506 à 1543, tous les rois qui ont marqué l'histoire du Kongo occupé par les Portugais, se retrouvent partiellement dans le Mani Congo. Le Mani Congo est à ce titre un personnage "palimpsestique". Et même si les références textuelles se rapportent essentiellement à Affonso 1°, la facilité avec laquelle le roi laisse entrer les Bitandais dans son royaume, et sa volte-face de la fin où il revient aux valeurs négro-africaines, rappellent l'attitude de Zingha a Nkuwu. D'autre part, ses hésitations et son absence d'autorité font penser à l'indécis Pedro IV. Mais c'est Affonso 1°, fils de Zingha a Nkuwu qui constitue la couleur la plus vive de ce manteau d'arlequin. Et lorsque le Mani Congo déclare : "Moi qui ai fait bâtir quatre cathédrales et des dizaines d'églises, qui ai un fils évêque (...) Moi, moi qui ai fait brûler fétiches, masques, statuettes, tam-tams... ?", on croit entendre Affonso 1° qui construisit effectivement de nombreuses cathédrales et églises, et qui eut un fils évêque du nom de Dom Henrique. En dehors de ces considérations d'ordre historique, le Mani Congo est un type de personnages qui hante le théâtre de Dadié et le théâtre négro-africain dans son ensemble. Il est chercheur-de-notoriété dans Monsieur Thôgô-gnini, P.D.G. dans Mhoi-Ceul, faux-monnayeur dans Papassidi, La Termitière (Zadi), cynique gouverneur de quartier dans L'Oeil (Zadi). Citons également Le Président (Edition J.P. Oswald) du Congolais Maxime N'Débéka, N'Gandou dans L'Homme qui tua le crocodile (Editions Clé) du Congolais Sylvain Bemba, tout comme le songe-creux Nahoubou 1° dans Les Voix dans le vent.
Dans Béatrice du Congo, au-delà du témoignage historique, le roi est l'incarnation de la naïveté, de la bouffonnerie et de la mégalomanie de certains pouvoirs de l'Afrique dite moderne. Pourtant le Mani Congo ne parvient pas à être antipathique. Car Dadié nous amène peu à peu à considérer sa tyrannie comme la conséquence, le prolongement objectif de celle du colon, dans la mesure où il n'est que le jouet des intérêts coloniaux. Le romancier Aké Loba le trouve même sympathique : "L'instabilité du royaume a fait l'affaire de l'envahisseur. Le monarque le sent lui-même, il en devient du coup humain et sympathique".
En effet lorsqu'il s'aperçoit à l'Acte III qu'il a "livré" sans le vouloir son royaume, la lucidité avec laquelle il se fait juge implacable de lui-même, atténue sa tyrannie : Assis sur un trône rongé, termité, étranger sur mon propre sol devenu sol étranger. (...) Je n'ai été que le pourvoyeur des bateaux négriers... Branche séchée dans la forêt vivante, la touffe d'herbes en train de pourrir l'eau, de tuer les poissons ; vieux sorcier qui se nourrit de ses propres enfants, des années durant j'ai régné sur des cadavres.
Enfin, en l'assassinant parce que devenu inutile et gênant, le pouvoir colonial non seulement endosse ses fautes mais en fait un martyr ; le monarque mégalomane qui s'est fourvoyé devient alors un résistant assassiné par l'ordre colonial. Par ce retournement de situation, Dadié dévoile en partie son discours.
Dans un premier temps, l'auteur ramène au bercail la brebis égarée en réhabilitant la mémoire des personnages historiques "contenus" dans le Mani Congo, puisqu'il justifie sa mégalomanie comme étant le prolongement objectif de celle du roi Henri (le Zaïre étant devenu une province du Bitanda). Par cette attitude, Dadié ne fait que se conformer au dessein du drame épique Noir qui est "d'aider à la création de mythes qui galvanisent le peuple et le portent en avant". Il faut donc d'une manière ou d'une autre justifier les actes des personnages historiques. L'auteur épargne ainsi au public Noir une nouvelle crise de conscience.
Dans un second temps, l'assassinat du roi peut être considéré comme une mise en garde aux hommes de pouvoir africains. Au nom de la coopération -indispensable- dans laquelle ils engagent leurs peuples, ils ne doivent pas se muer en agents étrangers sur le trône. Coopérer c'est se reconnaître mutuellement ; aucune estime, aucune amitié ne peut s'édifier sur un respect unilatéral. Or trop souvent, dans les différentes coopérations où l'Afrique s'est trouvée engagée, ce respect mutuel des intérêts divergents nécessaire à toute coopération véritable a été nié. A travers cette négation, c'est l'Afrique et l'homme Noir qu'on nie.

DONA BEATRICE, de la prophétie à la résistance
LE CONTREMAITRE : Pourquoi n'y a-t-il que vous les femmes pour protester dans cet immense royaume ? (Acte II)
Oui, pourquoi n'y a-t-il que les femmes pour porter la protestation dans le théâtre de Dadié ? Déjà dans Monsieur Thôgô-gnini, l'absolue révolution était incarnée par le personnage de La Femme. Est-ce une manière de rendre justice à la femme africaine ? Car malgré la part importante qu'elles prirent dans les luttes d'Indépendance et dans l'histoire africaine en général, l'histoire reste fondamentalement une affaire d'hommes.
Mais Dadié, le militant emprisonné en 1949 se souvient. Il se souvient que le 24 décembre 1949, plus de quatre mille femmes parties à pied d'Abidjan, marchèrent sur Grand-Bassam (40 km) pour protester contre l'incarcération jugée arbitraire des membres du R.D.A.. Dadié le militant, fils de militant (son père Gabriel Dadié fut membre fondateur du R.D.A.) se souvient que les affrontements furent violents, et que les forces de l'ordre chargèrent. Et le prisonnier se souvient que quelques mois plus tard, bon nombre d'entre eux furent libérés... L'homme se souvient également que, quelques années plus tôt, dans la partie Orientale de l'ancien Togo allemand (sous contrôle français depuis 1919), près de deux mille femmes pénétrèrent dans les jardins du gouvernement le 24 janvier 1933 pour protester contre l'incarcération de deux militants indépendantistes, contre la situation économique des familles et contre une mesure qui écartait des écoles les enfants de plus de seize ans. Le militant se souvient que le 25 janvier, c'est l'émeute totale à Lomé, et que malgré la violence de la répression, le pouvoir colonial cédera sur tous les points.
Et Amina de Zaria (XVI° siècle) qui tenta de fédérer les cités haoussa (Niger, Nord-Nigéria) ?
Et la Kahéna qui lutta contre l'Islam et mourut les armes à la main (VII° siècle) ?
Et les Amazones de l'armée d'Abomey (Benin- XIX° siècle) ?
Et Makéda, reine de Saba (980 av. JC) et Ndete Yallo (milieu du XIX° siècle), et Abraha Pokou (XVIII° siècle), et... La liste est longue.
A travers "ses femmes" et particulièrement Dona Béatrice, c'est d'une certaine manière à la mémoire de ces femmes que Dadié rend hommage.
Si le Mani Congo est le condensé des trois rois qui ont marqué le royaume du Kongo, Dona Béatrice est la mémoire de la Résistance pendant quatre siècles, de Zingha a Nkuwu à Pedro IV. Ainsi la confrontation au Tableau I de l'Acte II entre le Mani Congo et Dona Béatrice apparaît-elle comme la collision entre les deux moments forts de l'histoire du Kongo : l'apogée où écoles, églises et factories se multiplient au 16° siècle sous Affonso 1°, et la décadence où tout est détruit sous Pedro IV au 17° siècle et au 18° siècle. La période de misère juge la période d'abondance. Avec cette confrontation historiquement impossible, Dadié transforme la mission religieuse de Béatrice en vocation révolutionnaire. Mais y a-t-il une réelle dichotomie entre ces deux Béatrices ? Tout dogme religieux mettant en cause le dogme préexistant, celui de L'ordre, n'est-il pas en soi un acte révolutionnaire ? Et Dona Béatrice, en créant en 1704 la secte des "Antoniens", accomplissait déjà un acte de refus politique. Autrement comment comprendre son acte de brûler la Croix et de ne pas reconnaître le pape ? Ce double refus qui en fait est une façon d'enseigner une autre relation à Dieu, constitue la négation de la caution spirituelle de l'ordre colonial. Ce refus que contenait en germe la secte, Béatrice du Congo le "contemporanéise" et le rend plus dynamique. A ce propos, Aké Loba, dans le même article cité plus haut, écrit : "Insensiblement, Bernard Dadié nous a fait passer du lointain horizon du passé, à celui du présent, car, et c'est là où il rejoint l'intention des classiques : le présent et peut-être l'avenir jaillissent du passé".
Par ailleurs le regard que jette Dadié sur la Béatrice prophétesse accouche d'une révélation : le manque spirituel qui la pousse à créer la secte des "Antoniens", est la manifestation inconsciente de trois autres manques.

Le manque territorial
LE ROI : J'ai décidé d'interdire la traite dans mon royaume.
LOPEZ : Sa majesté ne fait-elle pas erreur lorsqu'elle parle de son royaume ?... Les terres dont vous parlez n'appartiennent-elles pas au souverain du Bitanda ?
LE ROI : Que dites-vous ? Mes terres à moi ?... C'est un vol... Mes terres à moi... les terres du Zaïre.
LA PROMESSE : Tout appartient au souverain du Bitanda. (Acte III)
A ce manque, Kimpa Vita répond "que ma terre cesse d'être appendice, mine, caverne, réservoir, carrière, grenier pour les autres, enfer pour nous". Le Zaïre doit donc être libéré en tant que territoire.

Le manque politique
Dans L'histoire, le manque politique apparaissait clairement : le royaume désagrégé n'a plus de roi. Dans la pièce l'absence d'autorité transparaît dès le début, au Tableau II de l'Acte I où le Mani Congo, bien que continuellement présent, reste muet jusqu'à l'Acte II ; dans "ce théâtre de la parole... cette matière littéraire verbeuse" pour reprendre l'expression du critique Guy Kouassi, exister c'est essentiellement parler. Et le Mani Congo ne parle vraiment que sous l'occupation bitandaise, c'est-à-dire au moment où il n'est plus politiquement roi, mais un roi prête-nom, "un agent bitandais", ce qu'il reconnaît lui-même lors de son mea-culpa à l'Acte III. C'est donc un roi de carnaval, avec une couronne factice, assis sur un trône rongé, qui est à la tête d'un Zaïre régi par des décisions imposées de l'étranger. Dona Béatrice ici encore recommande la liquidation de ce manque : Je dis à mes frères et soeurs du Zaïre de renverser les structures imposées devenues corsets d'airain... (Acte III).

Le manque culturel et spirituel
Dadié nous dépeint un Zaïre totalement évangélisé, où les gens se nomment Texeira, Alberto, Armando, Patricia, Maria Magdalena ou Dona Béatrice, un Zaïre où les fétiches et les masques sont détruits. La séquence (Le Contact) du deuxième tableau de l'Acte II où le roi apprend à se tenir à table à la manière bitandaise catalyse toute l'aliénation culturelle ; si la Béatrice historique brûlait elle aussi les fétiches et les croix, celle de Dadié, tout en continuant à brûler les croix, rétablit le culte des fétiches :
LE CURE : Est-il vrai que vous avez voulu rétablir le culte des fétiches ?
DONA BEATRICE : Je dis aux hommes de refuser les dieux des sujétions, les dieux des misères, les dieux de la traite...
Ces trois manques conjugués font du peuple du royaume du Zaïre un peuple sans réalité concrète, un peuple qui n'est pas, un blanc dans l'histoire de l'humanité. En effet par le manque territorial, c'est un peuple sans assises (Terre), par le manque politique, un corps sans centre nerveux (Réflexion politique) et par le manque spirituel et culturel enfin, un peuple sans toit (Ciel). A ce peuple qui n'est pas et qui n'a pas, il ne reste que le monopole de la colère. Alors "au grand soleil, faisons étinceler notre couleur de diable".
A Dona Béatrice, la jeune prophétesse qui au 18° siècle crut recevoir de la Vierge Marie mission de rétablir l'unité du Kongo, Dadié préférera Kimpa Vita la militante. Et son adversaire n'est plus le colonisateur uniquement : Qu'ils sachent, nos maîtres de toutes couleurs, que nous allons nous admirer cette nuit dans la clarté des incendies...
D'autre part, Dadié humanise la jeune illuminée en transformant le sujet transformateur divin (Voix-La Vierge) en sujet transformateur humain, faisant du devoir divin un devoir humain :
Les anciens m'ordonnent toujours de vous dire la vérité.
Face à l'exceptionnalité de l'héroïne mythique, Dadié choisit l'exemplarité de la militante.

 
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De plain-pied dans le texte

LE ROI : Oui Texeira, j'ai compris. Il faut que tout change. Les Bitandais ! Les Bitandais. Susciter la guerre civile, alimenter la guerre civile, miner mon trône, me sourire, me décorer... La ruse ! Le mensonge ! et les seules victimes : Nous ! Les armes distribuées ne tuent que des hommes du Zaïre... après il leur faut payer et les armes et la poudre, et leurs soldats... Monopole de la navigation, monopole de la traite, monopole de la mort... Et tout ça sous le couvert de mener des âmes au Bon Dieu... La belle duperie... Je veux interdire la traite... toutes les traites... Pourquoi veulent-ils que toujours leur richesse ait pour assise la pauvreté des autres ?

 
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  Du texte à la scène…

Création en 1971 au Cloître des Carmes, Festival d'Avignon, mise en scène de Jean-Marie Serreau.

 
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Pour poursuivre le voyage


- KOTCHY Barthélémy, La critique sociale dans l'oeuvre théâtrale de Bernard Dadié, L'Harmattan, Paris, 1982.
- KWAHULÉ Koffi, Pour une critique du théâtre ivoirien contemporain, L'harmattan, Paris, 1996.
- BAILLY, "A propos de Béatrice du Congo", Ivoire-Dimanche, n° 243, octobre 1975.
- CINGRA H., "Béatrice du Congo, du bon théâtre mal rodé", Les lettres Françaises n° 1396, juillet-août 1971.
- GODARD Colette, "Béatrice du Congo de Bernard Dadié, à Avignon", Le Monde du 20 juillet 1971.
- KOUASSI Guy, "Béatrice du Congo, une pièce a une voix dans le vent du passé", Fraternité-Matin n° 3277, octobre 1975.
- MARCABRU Pierre, "Béatrice du Congo", France Soir n° 1050, juillet 1971.
- RASCHI Natasa, Quand le tronc se fait caïman. Drammaturgie di Costa d'Avorio, Roma, Bulzoni, 2002,

 
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Fiche réalisée par Koffi Kwahulé

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