|
LABORATOIREDE RECHERCHE
|
|
REPERTOIRECONTEMPORAIN
|
|
|
|
Recherche |
|
|
|
|
|
Tout le théâtre africain avec Africultures.com
agenda, critique, festivals, articles... |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Fable du cloître des cimetières (La)
Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Sylvie Chalaye
|
|
République du Congo
1995
Editions L'Harmattan
|
|
Genre
Comédie dramatique
Nombre de personnages
2 femmes
3 hommes
1 enfant
(3 hommes, 2 femmes, 1 fillette)
Longueur
8 tableaux
74 pages
Temps et lieux
le monde de l'au-delÃ
Thèmes
quête existentielle , quête identitaire
Mots-clés
au-delà , cimetière , clochard , enfers , Eurydice , identité , morgue , Orphée
|
|
|
|
Consultation de la fiche par rubriques |
|
Un premier repérage :
la fable
Résumé de la pièce
Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité
de la structure et son fonctionnement général par
rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.
Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique
qui permet de dégager une interprétation et les
véritables enjeux de la pièce
De plain-pied dans le texte
Un extrait
Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture
à sa création en passant par les lectures dont elle
a pu faire l'objet
Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce
|
|
|
|
|
|
Un premier repérage : La fable
Personnage "déchu", Makiadi mène une vie de clochard qui trâine de bar en bar, quand il est abordé par Artinem, une femme qui l'embrasse furieusement et lui remet une lettre. Il ouvre le pli, apparaît alors une ronde de femmes venues d'outre-tombe, par lesquelles s'exprime la voix de Motéma. Elle s'est suicidée et demande à Makiadi de la sauver : "Je suis morte. La femme qui t'aime est morte. Toi seul peut la sauver par ton amour. (...) Viens me chercher, ramène-moi à la vie, à ta vie" (p.26). Après s'être glissé dans un cercueil, Makiadi croit se retrouver dans le monde des morts, mais le lieu, gardé par un vieil homme qui n'est autre que le barman, ressemble davantage à une morgue qu'à l'enfer. Pour retrouver Motéma, Makiadi se travestit en femme. Le vieil homme ne le reconnaît pas et le prend réellement pour une femme tandis qu'une petite fille qui occupe la morgue reconnaît en lui sa maman et le suit. A nouveau dans la rue, sur un tas d'immondices, les voilà bousculés par un policier qui dégage la voie pour la venue du Président, ce policier n'est autre encore que le barman, il remet une lettre à Makiadi. C'est Motéma qui l'exhorte à quitter ses vêtements de femme et à accomplir sa quête. La petite fille disparaît en traversant un mur, que Makiadi brise à son tour pour se retrouver bientôt sur un marché où un bonimenteur, Ogba, lui trouve un nouveau travestissement : une robe de moine. Artinem qui a besoin de se confesser vient lui raconter ses déboires conjugaux. Elle a une lettre pour Makiadi, mais ne le reconnaît pas sous l'habit de moine. Makiadi doit lui arracher violemment la lettre. Il retire sa robe de bure et lit la lettre. Motéma affirme être à présent tout prêt de lui, mais il préfère renoncer à sa quête et revenir à sa vie de clochard. Il rencontre alors Ogba qui a épousé Artinem, celui-ci lui explique que c'est lui qui a poussé Motéma au suicide et qu'il l'a momifiée et vendue à un taxidermiste. Makiadi retrouve la petite fille et le vieil homme qui est finalement le taxidermiste. A-t-il enfin trouvé l'enfer et la momie de Motéma ? Le vieil homme propose à Makiadi de reprendre son poste. Motéma n'a jamais existé, tout ceci n'était qu'un leurre pour amener Makiadi à remplacer le gardien de la morgue.
|
|
|
|
|
|
Parcours dramaturgiques
Les sept portes de l'enfer
La structure de la pièce s'organise autour de huit tableaux dont les situations temporelles et spatiales restent ambiguës. Une phrase annonce au début de chaque scène, ce qui va se dérouler, comme les étapes d'un jeu de l'oie. Les titres des sept premiers tableaux obéissent tous au même schéma quasi litanique :
1.Ici, l'on apprend que l'amour peut surgir de nulle part, surtout de derrière les portes de la mort.
2.Ici, on raconte la visite que Makiadi fit en enfer.
3.Ici, commence la métamorphose de Makiadi. Sommes nous toujours en enfers ?
4.Ici, l'on apprend qu'il faut traverser les murs pour entrer dans le coeur des enfants.
....................................
Or ces titres ont réellement la fonction d'une légende au sens étymologique du terme. Le déictique "ici" qui se répète dans les sept premiers tableaux ne fait que spatialiser et circonscrire davantage l'action. Comme si chaque tableau était une étape, une des sept portes à franchir avant d'accéder à cette autre vie, un des sept cercles de l'enfer avant d'arriver au monde de la poésie dont Tchicaya U Tam'si donne les clés, dans un exergue, à l'orée du dernier tableau.
Cette formule litanique qui ouvre chaque scène ne fait que renforcer les connotations mystiques introduites dans le titre et donne ainsi l'idée d'un parcours initiatique dont chaque scène serait une épreuve à dépasser.
L'espace et le temps
L'auteur joue avec l'unité de temps car Makiadi ouvre la pièce en annonçant "Je sens que ça va être une journée de chien" (p.19) et la clôt par ces termes : "Journée de chien... Pourquoi ai-je dit : journée de chien?"(p.74). Cependant le vieil homme, lui, envisage chaque rencontre avec une apparence nouvelle de Makiadi comme une nouvelle journée. Les repères temporels sont brouillés, comme les repères spatiaux. Dès la première scène, on glisse ainsi sans réelle préparation d'un espace à l'autre. La pièce s'ouvre sur un décor urbain : "une rue" dit la didascalie, puis Makiadi entre dans un bar et la scène s'achève dans un cimetière.
En fait l'espace semble mouvant et l'on ne perçoit jamais vraiment la frontière entre l'au-delà et la réalité. Les deux mondes qui s'opposent sont d'une part la rue et l'atmosphère bruyante du marché et de l'autre, l'univers organisé classifié, désodorisé, javellisé, aseptisé du musée que garde le vieil homme.
Les personnages
On peut voir dans le vieil homme de la morgue le dépositaire de l'histoire et de la mémoire, celui que deviendra à son tour Makiadi. Ce personnage qui prête ses traits au barman dans le bar, au gardien dans la morgue, au policier dans la rue, incarne avant tout une fonction, il est le garant d'un certain ordre. Tandis que Makiadi est pris dans le devenir de ses transformations successives et passe d'un espace à l'autre, ce personnage en est plusieurs en même temps et permet ainsi au spectateur d'appréhender une temporalité où les mondes que traverse Makiadi seraient des mondes parallèles.
Peut-être Makiadi incarne-t-il le destin du poète, de celui qui entend dans son âme la parole des morts. Il est le réceptacle d'une force de vie comme la mère qui engendre, comme le moine qui reçoit la parole divine, d'où les errances successives de Makiadi dans ces différents costumes qui accompagnent son parcours initiatique.
Ogba est l'image du renversement de l'ordre. C'est le Dieu fait diable, celui qui séduit et embobine, celui qui abuse. C'est à la fois le "Civilisateur" et l'affairiste, accueilli comme un sauveur et qui se révèle finalement n'être qu'un parasite sans scrupule, capable de tout accommoder, de tout mettre à toutes les sauces. Rien ne l'incommode et son appétit ne rechigne même pas à manger du chien, il a une recette pour toutes les races.
Artinem est une messagère, mais elle est aussi, le désir, l'envie, la convoitise, la dimension charnelle de la femme alors que Motéma n'en est bien sûr que la représentation platonicienne, une idée évanescente qui finalement n'existe pas, un mensonge qu'il fallait inventer pour aider Makiadi à s'arracher à sa torpeur.
La fillette qui traverse les murs, qui a quelque chose à apprendre à Makiadi et qui, à la fin, lui révèle la vérité pourrait bien appartenir aux limbes, c'est le symbole de l'âme innocente et de la fraîcheur enfantine qui doit encore être au coeur des hommes pour que l'avenir s'ouvre à eux.
|
|
|
|
|
|
Pistes de lecture
Réécriture d'un mythe :
L'argument de la pièce reprend en effet le mythe d'Orphée et Eurydice. Poète vénéré de Thrace, Orphée aime passionnément Eurydice. Mais un jour qu'Eurydice cherchait en s'enfuyant à échapper aux avances d'un berger, elle est piquée par un serpent et meurt. Orphée ne parvient pas à se résigner d'avoir perdu celle qu'il aime. Grâce à la beauté de son art qui parvient à émouvoir la Mort, Orphée ramène Eurydice du royaume des ombres. Sur le chemin qui les ramène à la vie, Orphée ne doit pas se retourner et regarder Eurydice. Telle est la condition qu'a posée la Mort au poète. Mais Orphée se retourne et Eurydice disparaît, il la perd une deuxième fois et à jamais.
Comme Orphée, Makiadi veut sauver sa bien-aimée en l'arrachant au monde des morts. Sa quête est de même nature, mais, Makiadi, lui, ne connaît pas le chemin qui mène aux Enfers et surtout il ne connaît même pas celle qu'il doit sauver. Et, si elle disparaît également à la fin, c'est qu'elle se révèle être une simple illusion. Mais ce mensonge qu'il a fallu lui inventer a permis la dynamique qui l'a poussé à s'arracher à sa condition de clochard. Ce n'est pas tant Motéma qu'il fallait sauver que Makiadi lui même. Or cette illusion a soudain donné un but et un sens à sa vie.
Une quête identitaire :
"Ne pensez-vous pas que nous vivons le siècle des identités ?" (p.51) s'interroge Ogba. Le parcours initiatique de Makiadi passe par ce que le titre didascalique des scènes 3 et 5 appelle "sa métamorphose". La quête amoureuse de Makiadi passe par une quête identitaire. D'ailleurs dès le début de la pièce on le voit chercher son reflet dans un miroir qui ne lui renvoie qu'une image tronquée de lui-même. Tour à tour, clochard, macchabé dans un cercueil, femme, moine, Makiadi prend l'apparence qu'il croit la plus adaptée à ses recherches, cependant son costume sert plutôt de repoussoir et l'empêche d'atteindre son but. Le vieil homme, la petite fille, Artinem sont incapables de dissocier l'apparence de l'être. "L'habit fait le moine". et personne ne reconnaît Makiadi.
Une parabole politique :
Makiadi pourrait bien être l'allégorie d'une Afrique en quête d'un avenir. Il est à lui tout seul "un décor de cette ville"(p.62). Le masque de clochard que porte Makiadi est en somme le masque de cette Afrique dont la seule identité est devenue la pauvreté et la dépendance. Mais par le regard de Motéma le masque de clochard peut se transformer en "masque de l'héroïsme"(p.61).
Spoliée de son histoire, prise entre le souvenir embelli d'une Afrique mythique et les traces irrémédiables de la colonisation, écartelée entre la nostalgie d'une histoire à jamais perdue et la nécessité d'envisager un avenir, comment l'Afrique moderne peut-elle trouver une place et un rôle dans le monde ? Cette femme démembrée et couverte de sang, cette femme qui s'est crevé les yeux comme Oedipe, cette femme sur laquelle est passé le train de la colonisation et du modernisme, n'est, elle-aussi, qu'une allégorie de l'Afrique perdue et qui aujourd'hui n'a plus sa place que dans les musées. Mais pour Caya Makhélé cette Afrique fantôme a encore le pouvoir de soulever l'espoir des Africains. C'est un mensonge qu'il faut sans cesse réinventer pour retrouver dignité et identité. Et celui à qui il est donné de garder les restes de ce passé, n'est-ce pas l'artiste ?
Fable et vérité
Pour retrouver son histoire, pour reconstruire son identité perdue, l'Afrique doit renoncer à la vérité une et indivisible. Pour se retrouver et reconstruire sa propre vérité, elle doit apprendre à explorer le monde de l'illusion, le monde de Motéma, ce monde où tout est double, autrement dit le monde de la fable, le monde de l'art.
|
|
|
|
|
|
De plain-pied dans le texte
OGBA, en transe, entouré de nombreux badauds, dont Makiadi fait partie. - Je suis Ogba; le dieu-diable. Aujourd'hui je suis là , demain je n'y suis plus. Ne laissez pas passer votre chance. J'ai neuf cent quatre-vingt-dix mille objets qui vous transporteront dans des mondes que vous ne soupçonnez pas.(...) Ogba sait ce que vous cherchez. Un masque. J'ai ici les masques de toutes les couleurs. Vous voulez devenir blanc, jaune, rouge, albinos, mulâtre, j'ai le masque qu'il vous faut. Des masques de joie, de peine, d'hypocisie, de haine, de dépit, de désespoir, de dédain, de fatigue, de repos. Un masque sur soi et hop ! En un tour, vous voilà transformé.
MAKIADI. - Non merci, je ne veux pas de masque.
OGBA.-Et pourtant un petit masque de joie vous illuminerait le visage.
MAKIADI. - Désolé, j'ai le visage qu'il me faut. Un visage de défaite. Un visage d'abandon, de résignation. (Il fait mine de partir)
OGBA. - Dans ce cas, il vous faut un visage de haine. Vous aurez une haine tenace pour toute espèce humaine, animale ou végétale.
MAKIADI. - Je ne saurais avoir un visage de haine, quelqu'un me l'interdit.
OGBA.- Qui ?
MAKIADI, après un instant d'hésitation.. - Une femme.
0GBA. - Vous l'aimez et vous cherchez à l'oublier, c'est ça ? Elle vous mange la tête et vous ne savez où la trouver. Elle trotte en vous comme un cheval égaré et vous entendez ses hennissements dans votre ventre. Vous êtes amoureux d'une morte. La corde avec laquelle elle vous tient traverse les ténèbres d'un enfer que je connais fort bien.
MAKIADI, incrédule. - Vous dites la vérité ou vous vous moquez de moi ?
OGBA, il prend un air indigné. - Je n'ai jamais menti. Ogba le dieu-diable ne peut parler faux. J'ai des yeux pour voir à travers, en long et en large. Je soigne ma vue avec des yeux de chats. Je n'aime pas la chair de chat. Alors, des chats je ne mange que les yeux. Je suis docteur des soucis et me mets à votre disposition, noble étranger.
(Caya, Makhélé, La Fable du cloître des cimetières, L'Harmattan, Paris, 1995, pp.49-50)
|
|
|
|
|
|
Du texte à
la scène
En 1996, Patrick Mohr a créé la pièce au théâtre de poche à Genève, avant de présenter sa mise en scène au Festival des Francophonies en Limousin.
|
|
|
|
|
|
Pour poursuivre le voyage
- KING Adèle, "Caya Makhélé : mythes, enfers et damnation", Théâtre/Public, n°158, mars 2001, pp.41-43.
- CHALAYE Sylvie, "Entretien avec Caya Makhélé", in Africultures n°1, octobre 1997, pp. 66-73.
- Idem, "Sarcophages sans fond pour voyageur sans bagages, La Fable du cloître / C.Makhélé / P.Mohr", in Africultures n°2, novembre 1997, pp.54-55.
- Idem, "Entretien avec Caya Makhélé", Théâtre/Public, n°158, mars 2001, pp.43-49.
- Idem, "Caya Makhélé : un homme de rencontre et d'amitié", L'Afrique noire et son théâtre au tournant du XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2001, pp.49-55. |
|
|
|
|
|
|
|
Fiche réalisée par Sylvie Chalaye
|
|
> Imprimer
|
|
|
|
|
|
|
|
|