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Fiche pièce
Diable à la longue queue (Le)



L'AUTEUR
N'debeka Maxime



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Diable à la longue queue (Le)
N'debeka Maxime

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Dany Toubiana


  République du Congo
2000
Editions Lansman, Carnières (Belgique)
 
Genre
Tragédie

Nombre de personnages
2 femmes
8 hommes
détail : 7 hommes, 2 femmes, 1 jeune homme entre 16 et 20 ans. Les personnages des diables ou des guerriers peuvent être joués aussi par des femmes.

Longueur
10 tableaux
47 pages


Temps et lieux
Quelque part sur la terre à notre époque…

Thèmes
Guerre civile , bascule vers la barbarie de la guerre (La)

Mots-clés
diable , folie , guerre , politique
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Congo, Tchétchénie, Kosovo, Timor, Sierra Leone ou ailleurs, quelque part sur la planète terre…bref un pays (imaginaire ?) où "les humains ont défait leur visage …où personne ne reconnaît plus personne…où personne n'entend plus personne". En ces temps de "lessivage radical", la diablerie a pris le pouvoir et a créé des émules au grand banquet de la peur. Dans ce monde où règnent les Etres Réels, on ne tue pas des gens mais l'ethnie des Riens-du Tout, "pour préserver l'environnement de toutes les merdes". Au vu du sort réservé aux vivants, les victimes finissent par se réjouir d'avoir bénéficié du service avisé des mitraillettes, gourdins et autres machettes des miliciens "décontamineurs".
Un style très personnel, un ton ironique et volontiers provocateur pour dire l'horreur des guerres fratricides afin de "préserver un reste d'humanité", tel est le projet de Maxime NDebeka jouant de la métaphore pour nous raconter, après l'avoir vécue lui-même, la folie des "diables à longue queue".
La pièce raconte la déferlante de la haine et s'interroge. Quelle est la parcelle d'humanité et de barbarie qui réside en chaque humain et peut le faire basculer d'un côté ou de l'autre ? Questions déjà posées maintes fois par bien des dramaturges. Ici la force du propos provient de la mise à distance et de l'ironie presque désespérée pour dire l'atroce et l'insoutenable. La métaphore d'un monde gouverné par des diables transforme celui-ci en un univers où les rôles de victimes et de bourreaux s'interchangent. Cette pièce renouvelle aussi la question du tragique dans notre monde contemporain.
Même si elle rompt avec le discours "réaliste" de certains textes sur le même sujet, tout ce qui est évoqué ici, la folie, les tortures, les viols, le génocide…n'ont rien d'imaginaire. On les retrouve hier et aujourd'hui, ici ou là, en Europe, en Palestine ou au Rwanda et dans les évènements de la guerre fratricide qui a divisé la République Populaire du Congo en 1997 et que l'auteur a personnellement vécue. Car si la pièce évoque une Afrique où les ethnies se déchirent, elle est aussi l'écho de toutes ces guerres qui traversent le monde, taillant en pièces l'espoir et l'avenir des hommes.
Maxime N'Debeka est poète avant tout et comme dramaturge c'est une voix qui compte dans le monde africain. Sous l'aspect métaphysique voire mystique de cette pièce, perce l'ironie, le mordant, des formes "polies" de la désespérance, communes à de nombreux textes de Maxime N'Debeka.

 
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Parcours dramaturgiques

Avec "Le diable à longue queue", Maxime N'Debeka, à son tour, met en scène la banalisation du mal dans un monde gouverné par des diables et en proie à la folie de la guerre civile. La pièce s'ouvre sur une vision de fin du monde où le vacarme des armes et les cris de terreur couvrent la totalité de l'espace; une fois le silence rétabli, le premier personnage qui parle est une folle qui constate que nous sommes dans "l'âge des âmes muettes, sourdes et aveugles" et que "l'homme a largué sa voix et son oreille intérieures". Les répliques qui suivent sont celles des trois diables qui, à la place de Dieu, ont pris le contrôle des humains en "rupture de bien". Les diables ont divisé les humains en "Riens du tout" qu'il faut éliminer et en "Etres Réels", les représentants de leur pouvoir diabolique sur la terre, auxquels il faut obéir. Ici, la subversion est marquée, dès l'entrée, par l'inversion des valeurs et le peu d'importance de la vie humaine. Inversion des valeurs dans la mesure où toute action diabolique, quelle que soit la tradition va à l'encontre du bien. La situation devrait être tragique puisque chaque être vivant que l'on croise est un mort en puissance s'il n'obéit pas aux injonctions des femmes ou hommes de main des diables mais la mort dans ce monde est si banale qu'elle en devient dérisoire donc sans importance. Dans cet univers de guerre totale, le mal n'a aucune nécessité, il est contingent et tout est possible. A tout moment n'importe quel bon serviteur, en basculant dans la mort,voit l'appendice bourgeonnant du bas de son dos se transformer en une longue queue qui lui permet de rejoindre la cohorte des diables et de participer, à son tour, au gouvernement de cet univers. Dépourvu d'ordre et de sens, le monde a perdu sa boussole et l'homme son innocence.
Le jeune milicien, enfant-soldat, qui refuse de donner la mort et de violer essaie de conserver une conscience du bien. Au nom des principes de ce nouvel ordre diabolique, on commande au jeune milicien de tuer et de violer la Folle. Celle-ci est en fait sa propre mère, mais le jeune homme au début l'ignore. Ce premier acte de compassion est aussi une prise de conscience qui va le mettre à l'écart de la folie du monde. Ce simple geste d'humanité est à lui seul un acte de rébellion et, parce qu'il ne veut plus participer au mal ambiant, le Jeune Milicien introduit de la subversion dans ce monde inversé. L'enfant-soldat veut protéger La Folle et, comme Antigone, il devient celui qui transgresse les ordres non par héroïsme ou pour créer un ordre nouveau mais par nécessité. Dans ce monde dénué de toute idée du bien, il symbolise, dès lors, un germe d'espoir. Il s'ancre dans l'enfance et ouvre ainsi une alternative de résistance et par là-même de subversion. À l'ordre inversé et diabolique du monde, il oppose la folie, autre forme d'inversion, mais aussi d'espoir de renouveau même lointain et utopique. Dans le monde des diables, il s'avère nécessaire de devenir fou pour résister. Préserver un reste de raison revient ici, de façon paradoxale, à sombrer dans la folie, à faire de cet état de folie une raison sublimée qui permet de transformer les pulsions de mort en pulsions de vie.
Comme chez Sophocle, le héros est un solitaire, entièrement tendu vers son but, mais dans cette pièce, c'est un fou solitaire qui se dresse et ne veut pas se laisser instrumentaliser par un monde sans grandeur. Sans visage, sans reconnaissance et sans soutien des autres hommes, le Milicien, à la limite du monde des vivants et des morts, tente de préserver un semblant d'idéal. Même si le monde est totalement saccagé et correspond enfin à la vision qu'en ont les diables, tout le tragique se trouve dans cette tension apparemment inutile du héros vers une pureté qui "arme la patience et laisse faire le temps".

 
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Pistes de lecture

Qu'est-ce qui fascine encore dans les figures tragiques d'Antigone ou Oedipe à notre époque ? "Nous sommes en présence de personnages ou de figures, de formes qui représentent, qui désignent des hérétiques. (…)"et par là même, s'opposent aux lois édictées par les dieux. Dans la tragédie grecque, le monde est organisé selon une structure verticale: en haut, le siège des dieux et du pouvoir, en bas le lieu d'exil et du châtiment. Entre les deux le cercle plat de la terre, symbolisé au théâtre par l'orchestra où se déroule l'action. Dans ce jeu de la vie et de la mort, le théâtre reflétait une présence du sacré et des rituels organisés pour les dieux. Si on interroge le théâtre d'Eschyle, par exemple, on s'aperçoit que les dieux et les hommes "collaborent" d'une certaine façon mais cela ne veut pas dire que ces derniers agissent dans un monde en ordre. "C'est un monde qui aspire à l'ordre mais se meut dans le mystère et dans la peur. C'est un monde où règne la violence. On tue et on est tué. Des bêtes s'entredévorent. On est poursuivi, talonné. On crie de peur. (…) Et d'ailleurs ce monde peuplé de dieux que l'on veut justes est également peuplé de forces terrifiantes, qui relèvent de croyances plus ou moins primitives : le sang versé ne s'efface pas; au contraire, il prend vie, les morts reviennent, les hommes sont la proie de cauchemars, de visions; (…) On y parle de sacrifices refusés, de présages; et l'on y entend un bruit sourd de paroles magiques et de mots d'horreur. Mais à travers l'angoisse et le tremblement, à travers le mystère dont s'enveloppe le sacré, une même foi se retrouve partout, qui cherche à reconnaître dans ces forces terribles les traces, les signes, les jalons d'une justice supérieure, que simplement on comprend mal." Cette présentation du théâtre d'Eschyle faite par Jacqueline de Romilly pourrait à certains égards s'appliquer à certains aspects des théâtres africains. En effet, les pièces africaines dans leur ensemble se réfèrent au chaos politique engendré par les guerres civiles. On y retrouve la sacralité du monde au travers de certains rituels ou des personnages qui se meuvent à la lisière des mondes des vivants et des morts.
Dans la tragédie grecque ou classique, les héros sont les porte-paroles d'un idéal d'honneur et les victimes d'un sort injuste. Dans les tragédies des théâtres africains ou antillais, ils peuvent être sacrifiés parce qu'ils sont porteurs d'espoirs comme Lumumba, dans Une saison au Congo d'Aimé Césaire ou Antoine dans Antoine m'a vendu son destin de Sony Labou Tansi. Mais, si dans ces pièces, on pouvait imaginer des raisons idéologiques au sacrifice du héros, chez N'Debeka, nous sommes loin de cet espoir qui sous-tendait les premiers temps des indépendances africaines. Nous basculons dans l'horreur de la guerre civile, donc du massacre généralisé et inutile.
On peut voir aussi dans l'action des diables qui pourchassent les hommes, dans ces hommes qui se transforment et deviennent prédateurs à leur tour une sorte de chasse qui n'est pas sans rappeler celle des Erynies poursuivant Oreste dans L'Orestie d'Eschyle.. La chasse conduit au sacrifice de l'animal et l'acte sacrificiel est aussi un acte culinaire et social. Mais si la chasse, pratique traditionnelle, en Afrique, est une façon de définir un rapport de l'homme à la nature sauvage, ici elle change de nature puisque le chasseur comme le gibier appartiennent à la même "espèce". Les hommes transformés en diables à longue queue sont des chasseurs à la nature animale qui ont oublié leur qualité d'humains, perdant par là-même le rapport sacré au monde dans lequel ils vivent.
Et dans un tel monde, tout est sujet à caution, car il n'existe aucune limite au mal. Chaque chose, chaque sentiment aussi pur soit-il peut, à chaque instant basculer dans la haine, y compris et surtout par la souffrance qui, dans le contexte de la guerre civile, se dépouille de tout sens. Le seul espace d'innocence reste peut-être celui de l'enfance ou de la véritable folie.

 
 
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  Du texte à la scène…

Dans la guerre civile qui a opposé entre 1993 et 1994 diverses factions au Congo-Brazzaville, lors de la réconciliation qui n’a pas manqué de suivre, certains politiques s’appuyant sur des doctrines sectaires et religieuses, ont rejeté leurs responsabilités sur les diables à longue queue qui, selon eux, avaient inspiré les meurtres et toutes les dissensions que venait de traverser le pays !… Ce prétexte ironique a donné naissance à cette pièce. Cette pièce a été écrite en 1995 à Brazzaville en pleine guerre civile. Revue à Limoges en 1999, lors d’une résidence accordée par le Centre National du Livre, elle a été mise en forme à Blois en juin 2000 pour l’édition définitive. Elle a été présentée pour la première fois en juillet 2000, lors du 6° festival d’Agen « L’Afrique au cœur » dans une mise en scène de Pierre Debauche. Elle a fait l’objet de plusieurs lectures et mises en espace. La dernière a été faite au TILF à Paris dans le cadre de « La suite Africaine » en mai 2003. Un projet de création est en cours pour la saison 2004.

 
 
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Fiche réalisée par Dany Toubiana

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