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Lettres indiennes
Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Stéphanie Bérard
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Guadeloupe
1993
Editions Lansman, Carnières, 1993
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Genre
Drame
Nombre de personnages
3 femmes
3 hommes
Plusieurs figurants : danseurs indiens, joueurs de cartes
Longueur
24 scenes
63 pages
Temps et lieux
Les années 1990 sur une île, peut-être l'île de la Réunion
Thèmes
communauté indienne des îles vue de lâintérieur (la)
Mots-clés
canne à sucre , crise économique , indien , insularité
, lettres , racisme , violence conjugale
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Consultation de la fiche par rubriques |
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Un premier repérage :
la fable
Résumé de la pièce
Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité
de la structure et son fonctionnement général par
rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.
Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique
qui permet de dégager une interprétation et les
véritables enjeux de la pièce
De plain-pied dans le texte
Un extrait
Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture
à sa création en passant par les lectures dont elle
a pu faire l'objet
Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce
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Un premier repérage : La fable
Fructueuse, "épistolière" d'origine guadeloupéenne, séjourne sur une île et mène une sorte d'enquête sur le monde étranger dans lequel elle vient d'arriver et qui la fascine : elle observe, analyse, prend des notes sur un petit carnet qui ne la quitte jamais. Ces notes doivent lui servir à écrire une longue lettre destinée à son ami resté à Paris. Fructueuse se glisse subrepticement dans l'appartement de Paul, Indien, ancien ouvrier de la canne qui travaille désormais dans une usine à sucre en ville. Tapie dans l'ombre, voleuse d'odeurs, de couleurs, de sensations, elle observe, décrit, écrit sans que les gens s'aperçoivent d'abord de sa présence. Initialement spectatrice, elle ne pourra s'empêcher de prendre part à l'action : elle se lie d'amitié avec Paul, rencontre Marie, indienne, mariée et maltraitée par Merchat, chabin alcoolique. La voix de l'épistolière laisse progressivement place à l'action et aux dialogues de personnages qui vivent le drame d'une existence marquée par la misère, les conflits économiques, sociaux, raciaux et familiaux auxquels s'ajoute la difficulté de communiquer.
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Parcours dramaturgiques
Cette pièce est construite en deux parties qui font se succéder deux espaces différents : la première partie a lieu en ville, aux alentours d'une usine à sucre qui va fermer et obliger ses ouvriers à quitter la ville. La fermeture de cette usine s'ajoute à la longue liste énumérée par Paul entre 1952 et 1990 et qui offre un tableau de la réalité socio-économique de l'époque au moment de la crise de l'industrie sucrière. On alterne entre l'espace intérieur confiné de l'appartement de Paul où Fructueuse a trouvé refuge et qu'elle inspecte scrupuleusement tout en prenant des notes, et l'espace extérieur du quartier de l'usine où se joue le drame de la pauvreté (crise économique) et de la violence conjugale (entre Merchat et Marie). Le décor change complètement dans la deuxième partie où nous sommes transportés à la campagne, dans la famille de Paul qui fait la difficile expérience du retour parmi les siens ; il se sent désormais étranger à cette communauté indienne dont il est issu, et a bien du mal à communiquer avec les membres de sa famille, notamment avec son père.
Nous ignorons dans quel pays se déroule l'action de la pièce. Certains indices laissent penser que nous sommes sur une île, qui n'est pas dans la Caraïbe, car Fructueuse dit être originaire de Guadeloupe, une île lointaine. On peut supposer qu'il s'agit de la Réunion, île francophone où la population indienne est assez importante. Cette hypothèse est confirmée par la mention du "carry", spécialité culinaire réunionnaise, par l'utilisation de la dénomination péjorative "malbar" pour désigner les Indiens réunionnais, ainsi que par le chant traditionnel "maloya" entonné par Paul quand il rentre de la pêche et par les anciens chants tamouls de la veillée funéraire du père de ce dernier à la fin de la pièce.
Le fait d'avoir choisi la Réunion et non la Guadeloupe ou la Martinique peut sembler surprenant, mais n'est pas anodin de la part de Gerty Dambury, qui place son personnage féminin, Fructueuse, dans un environnement similaire et différent de son île natale, la Guadeloupe. Cette position confère ainsi au discours de l'épistolière une certaine objectivité et engage également la jeune fille sur la voie de la redécouverte de ses racines. La dramaturge guadeloupéenne a séjourné à la Réunion et a analysé les rapports de la communauté indienne au sein de la société réunionnaise, en comparaison avec la société antillaise. Cette population indienne arrivée après l'abolition de l'esclavage pour remplacer l'ancienne main d'Åuvre esclave africaine est aujourd'hui encore en butte au sentiment xénophobe de la population antillaise. La communauté indienne maintient les traditions culturelles et religieuses hindouistes (la musique, les chants et les danses indiennes tiennent une place importante dans la pièce) et participe ainsi à l'enrichissement de la culture créole, culture composite. La pièce fait aussi allusion aux rôles respectifs de l'homme et de la femme dans la société indienne fondée sur une hiérarchie figée : le père représente la figure d'autorité et de supériorité à qui la femme et les enfants doivent respect et soumission.
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Pistes de lecture
Théâtre épistolaire ?
Le titre de la pièce, Lettres indiennes, laisse attendre un échange épistolaire. C'est bien le projet de Fructueuse que d'écrire à son ami resté à Paris une longue lettre sur le monde qu'elle découvre autour d'elle. Dans les notes qu'elle prend sur son petit carnet, elle s'adresse à son destinataire, ce "tu" anonyme, et décrit très précisément ce qu'elle voit, ce qu'elle sent, ce qu'elle ressent, les gens qu'elle rencontre. Mais il semble que cette lettre à venir ne demeure qu'à l'état de brouillon. Fructueuse n'envoie finalement aucune lettre à son ami, pas plus qu'elle n'en reçoit de lui. Elle parle d'un "trop long silence" (63) à la fin de la pièce, comme si cet échange épistolaire avorté ne pouvait qu'aboutir à une inéluctable rupture.
Interpénétration du récit et du dialogue
Cet échange épistolaire factice ou tronqué permet d'introduire une forme dialogique à l'intérieur des récits écrits par Fructueuse qui s'adresse tout au long de ses notes à son destinataire anonyme. Parallèlement à cette intrusion du dialogue dans la narration se produit un phénomène inverse : les réminiscences des personnages donnent lieu à des récits insérés dans les dialogues. Merchat raconte comment Marie criait son nom sur les stades quand il marquait un but ; le père de Paul raconte comment son propre père s'est vu abandonné par ses fils. Le dialogue se transforme aussi en récit la première fois que Paul surprend Fructueuse dans son appartement ; surpris, il parle d'elle à la troisième personne, en sa présence, comme s'il s'adressait au public ou à lui-même. Gerty Dambury entrelace très habilement récits et dialogues qui s'interpénètrent et finissent par se confondre.
De l'écriture à la parole, de l'observation à l'action
L'écriture joue paradoxalement un rôle central dans cette pièce de théâtre destinée à la représentation. Comment mettre en scène l'écriture sinon par la lecture ? On peut imaginer que Fructueuse lira à haute voix les notes qu'elle prend sur son carnet. On remarque que la place de l'écriture diminue au fur et à mesure qu'avance la pièce. Initialement située à l'extérieur de l'action, en position de spectatrice, d'observatrice abstraite du réel, l'épistolière écrit ce qu'elle voit : elle analyse, dissèque et se tient en retrait de l'action. Mais peu à peu, elle prend part aux dialogues, converse avec les personnages qui l'entourent, Paul d'abord puis Marie. Après avoir consigné par écrit tout ce qu'elle a observé, elle commence lentement à s'impliquer davantage dans la vie de ces gens dont elle ressent et partage la misère et la douleur. De plus en plus happée par cette réalité dont elle fait désormais partie, elle perd la distance nécessaire pour écrire. A la fin de la pièce, la disposition d'esprit de Fructueuse a complètement changé : elle brûle son petit carnet, acte symbolique, pour choisir de se placer du côté de la vie. L'écriture apparaît ainsi comme une étape nécessaire pour parvenir à la parole et à l'action, une étape qui doit être dépassée. On passe donc de l'écriture à la parole, de l'observation à l'action, comme si écrire empêchait de vivre, mais permettait en même temps ce retour à soi. Le chemin parcouru par Fructueuse est dans une certaine meusre comparable à celui suivi par Gerty Dambury qui passe de la poésie au théâtre, de l'écriture intimiste et secrète à l'oralité de la parole dramatique.
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De plain-pied dans le texte
Extrait de la première partie, scène 2 (pp.11-13) :
Fructueuse : Je dois écrire une lettre sur vous. Alors il fallait bien que je vous rencontre. On ne peut pas parler des gens sans les connaître. Vous me direz il y a des gens qui le font, mais moi, ce n'est pas mon genre.
Paul : C'est étrange tout cela.
Fructueuse : Pourquoi rentrez-vous si tard ?
Paul : Parce que j'ai rencontré Merchat.
Fructueuse : Merchat ?
Paul : Un ivrogne.
Fructueuse : Vous fréquentez des ivrognes, vous ?
Paul : Et pourquoi pas ?
Fructueuse : Vous avez l'air si sage !
Paul : Mais qu'est-ce que vous faites chez moi ? Et moi qui réponds à toutes vos questions ! Où j'étais, pourquoi je rentre si tard, qui est Merchatâ¦
Fructueuse : Je ne sais pas pourquoi c'est vous que j'ai suivi. Peut-être parce que vous êtes sorti le premierâ¦
Paul : Ainsi vous faisiez le guet devant l'usine ? Il y a bien d'autres lieux à visiter pour une femme !
Fructueuse : Moi, j'aime les usines. Et j'aime la canne à sucreâ¦
Paul : Quelle drôle d'idée !
Fructueuse : Parlez-moi de Merchat.
Paul : C'est un pauvre type. Sa femme l'a quitté ce soir. Je l'ai rencontré à l'étang. Il voulait se jeter à l'eau. C'est ce qu'il disait en tous cas, mais je n'y crois pas.
Fructueuse : Et où est-il maintenant ?
Paul : Je ne sais pas. Je l'ai laissé devant une boutique. Il va sans doute boire encore plus⦠si c'est possible.
Fructueuse : Il travaille à l'usine ?
Paul : Non, il ne travaille pas.
Fructueuse : Il n'y a pas de place à l'usine ?
Paul : Oh, vous savez, plus personne ne veut travailler à l'usine. D'ailleurs elle va fermerâ¦
Fructueuse : Fermer ?!
Paul : Et alors ? Il est temps d'en finir avec toute cette sueur, tout ce travail, tout ce bruitâ¦
Fructueuse : Mais si elle ferme, que ferez-vous ?
Paul : J'irai à la pêche.
Fructueuse : Ca ne suffit pas la pêche.
Paul : Et pourquoi pas ? Je n'ai pas de famille à nourrir, moi. Deux petits poissons par jour, ça me suffit.
Fructueuse : Vous êtes surprenantâ¦
Paul : C'est moi qui suis surprenant ? Vous vous cachez près de l'usine, vous me surveillez, vous me suivez, vous entrez chez moi, vous me posez des questions, vous me faites la morale⦠et c'est moi qui suis surprenant ?
Fructueuse : Cessez de répéter la même chose. Oui, je suis chez vous. Depuis le temps, vous n'êtes pas encore habitué ? Je vous l'ai dit, j'ai des lettres à écrireâ¦
(Gerty Dambury, Lettres indiennes, Lansman, 1993, I, scène 2, pp. 11-13)
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Du texte à
la scène
Lettres indiennes a été mise en lecture au Festival International des Francophonies en Limousin en 1992, puis créée en Avignon dans une mise en scène dâAlain Timar au Théâtre des Halles en 1996. Cette pièce a également été jouée à New York, en traduction anglaise (Crosscurrents par Richard Philcox) au Ubu Repertory Theatre dans une mise en scène de Françoise Kourislky en 1997.
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Pour poursuivre le voyage
Bérard Stéphanie, "Mon cheval de bataille est l'intime" (entretien avec Gerty Dambury, mars 2003), http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/dambury_entretien.html
Houyoux Suzanne, "Entretien avec Gerty Dambury", in Suzanne Rinne et Joëlle Vitiello (dir.), Elles écrivent des Antilles (Haïti, Guadeloupe, Martinique), Paris, L'Harmattan, 1997, pp. 267-276.
Makward Christiane, "Pressentir l'autre : Gerty Dambury, dramaturge poétique guadeloupéenne", in L'Annuaire Théâtral 28, automne 2000, pp. 73-87. |
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Fiche réalisée par Stéphanie Bérard
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