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Fiche pièce
Carrefour (Le)



L'AUTEUR
Efoui Kossi



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Carrefour (Le)
Efoui Kossi

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Laurence BARBOLOSI


  Togo
1989
In Théâtres Sud, n° 2, L'Harmattan, 1990, pp.69-103
 
Genre
Drame

Nombre de personnages
1 femme
3 hommes


Longueur
30 pages


Temps et lieux
Un carrefour, une nuit

Thèmes
Théâtre , rituel et liberté

Mots-clés
carrefour , corps , mémoire , Pouvoir , prison , torture
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

" La scène représente un carrefour avec un réverbère éteint. Dans un coin se trouve un banc. Au fond de la scène, un podium sur lequel est posé un pupitre de musicien.
Entre le souffleur. C'est un personnage qui rappelle le maître de cérémonie ou le montreur de marionnettes. Il fait un premier geste qui allume le réverbère, un autre qui allume les projecteurs et permet de découvrir sur scène la Femme, couchée dans une position incommode, comme un pantin désarticulé. Le souffleur entreprend de la ranimer en faisant plusieurs gestes dans sa direction. Soudain, elle pousse un grand cri " (p. 69).
La femme se remémore. Elle raconte la mort de son amie Rachel. Le Souffleur lui rappelle son texte. Arrive le Poète, revenu sur les lieux de son passé. Il est recherché par la police. La Femme négocie avec le Flic la liberté du Poète pour la nuit en échange de ses faveurs. Les mots se télescopent et les récits s'entrecroisent. La nuit s'achève et le Flic embarque le Poète. Le Souffleur dévoile son identité : il est le Poète qui, prisonnier depuis vingt ans, fait revivre les personnages de sa mémoire afin de les sauver de l'oubli.

 
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Parcours dramaturgiques

Un métadrame
Jean-Pierre Sarrazac définit le métadrame comme étant un " drame sur un autre drame " dont " le procédé du théâtre dans le théâtre n'est qu'une modalité parmi d'autres ". Selon Jean-Pierre Sarrazac, " le métadrame constitue l'épilogue d'un drame […] antérieur non écrit. […] Quintessence dramatique, conflit mis à distance, commentaire d'un drame plus que drame vécu, le métadrame entraîne une profonde mutation dans la situation du personnage : du traditionnel personnage agissant, nous passons à un personnage passif et spectateur de lui-même, de sa propre existence considérée comme révolue " (SARRAZAC, Jean-Pierre (dir.), Etudes théâtrales n° 22, Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d'une recherche, Etudes théâtrales Louvain, 2001, pp. 6567.

Espace-temps
Bien que le temps se déroule de manière linéaire et coïncide avec le temps de la représentation, faisant ainsi appel au principe d'unité de la poétique classique, il évolue cependant à rebours. La fin de la pièce correspond au début de la fable, laquelle n'a de cesse d'être jouée et rejouée tous les soirs depuis vingt ans. Ce temps cyclique évoque celui du mythe.
De même, si l'unité de lieu (le carrefour) est une référence directe à la quête de vraisemblance de la poétique classique, celle-ci n'est qu'un leurre. Représentant un carrefour, le lieu scénique figure en définitive la cellule du Poète, laquelle a fait l'objet d'une transformation imaginaire de la part de ce dernier : l'ampoule est devenue le réverbère et le lit s'est transformé en banc public.
L'espace et le temps sont d'autant plus déréalisés qu'aucune référence précise à l'espace extérieur ou au futur n'est présente dans le texte. L'espace-temps est ainsi réduit à sa plus petite expression : l'ici et maintenant de la représentation théâtrale.


Du théâtre dans le théâtre
La fable du Carrefour coïncide avec la mise en scène de celle-ci. Sa représentation scénique est d'emblée présentée comme telle. Les personnages de la pièce sont immédiatement associés à des acteurs jouant des rôles déterminés (le Souffleur rappelant le texte à la Femme) et les références directes au théâtre sont nombreuses. "Je suis montée sur cette scène. Avec cette même lumière. Avec ce même décor. " (p 70), souligne la Femme dès sa première réplique. L'entrée en scène du Poète est d'ailleurs immédiatement associée par la Femme à la réalité de la représentation théâtrale, et non à son statut dans la fable : "Mais ce soir il [le Poète] restera le temps que dure le théâtre. Un acte de quelques scènes. Où peut-être deux ou peut-être trois. Il dira que c'est pour cela qu'il est là. Faire du théâtre. Alors on fera semblant de ne pas se reconnaître. On fera naturel… " (p. 71).
Aucune action dramatique n'a véritablement lieu puisque l'histoire se raconte au passé. Il s'agit plutôt d'un récit épique ayant pris la forme de la nécessité dramatique. Plus l'histoire de déroule et plus elle défait ce qu'elle a mis en place, déstructurant au fur et à mesure ce qu'elle établit linéairement.

Transparence et jeu de masques
Si cette pièce joue sur la transparence de la représentation théâtrale, cherchant à briser tout effet d'illusion, elle rétablit cependant la logique de la vraisemblance dramatique au moment du dénouement. Le Souffleur l'explique dans la dernière réplique de la pièce : " Depuis 20 ans que ça dure, 20 ans que ça recommence. Chaque soir dans ma tête, le même spectacle, les mêmes images d'acteurs qui empruntent un masque, un costume, les sentiments d'un personnage. Un personnage. Mais il ne s'agit pas d'un personnage : il s'agit de moi. Cette histoire se joue dans ma tête, c'est mon histoire " (p. 98). Le leurre de la transparence évoque ainsi la violence contenue dans son principe même de " transparence-vérité ", comme le souligne Kossi Efoui : " ce qui peut être perçu comme de l'inachèvement dans mon écriture, c'est cette difficulté à dire dans une société où il suffit précisément de dire pour que ce soit transparent.'Mais on l'a déjà dit, vous n'avez pas compris ?' La violence de cette société est là " (1). Ce leurre coïncide avec la réalité même de la fable, le masque étant l'écriture du dramaturge. Le masque de la transparence révèle en définitive la nécessité du masque lui-même : " tout ce qui se présente en tant que profondeur, y mettre un coup de poing pour voir si ce n'est pas une surface. C'est aussi une façon de réhabiliter la surface, c'est-à-dire de réhabiliter le masque en tant que masque (2) ", écrit Kossi Efoui. Ce masque apparaît comme la seule parcelle de liberté qu'il reste au poète pour rester vivant, c'est-à-dire pour continuer à exister malgré la censure qui cherche à le réduire au silence. La question du masque est d'ailleurs explicitement indiquée dans le texte, mais de façon ironique :

La Femme : Vous n'avez pas de masque à gaz ?
Le Poète : Non.
La Femme : C'est mauvais ça. (p. 73)


1. CHALAYE, Sylvie, L'Afrique et son théâtre au tournant du XXe siècle, PUR (Plurial), p. 85.
2. Ibid. p. 86.

 
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Pistes de lecture

Le corps-texte comme nouveau lieu de mémoire
Une problématique de la mémoire et de l'oubli traverse la fable du Carrefour, que l'on peut mettre en parallèle avec le phénomène d'hétéroculture auquel est confronté le peuple africain depuis la colonisation. " L'hétérocluture, écrit l'anthropologue Jean Poirier, est la situation dans laquelle se trouve une société qui s'alimente à deux matrices culturelles considérées à la fois comme essentielles (et même proprement vitales) et antagonistes : la tradition et la modernité - autrement dit la continuité et la novation " (1). Cette rencontre brutale entre deux cultures contradictoires (l'une, endogène et ancestrale et l'autre, exogène et surmoderne (2)) engendre un conflit tragique qui se traduit chez les personnages du Carrefour par ce choix impossible : sauver son âme (conserver leurs anciennes pratiques) ou sauver sa peau (intégrer les pratiques surmodernes). Ainsi le Flic a-t-il préféré sauver sa peau au détriment de son âme : " On m'a seulement dit l'urgence de sauver mon corps en le cadenassant dans cette armure rigide […] Je n'ai pas le luxe de sentir du vide à l'âme " (p. 93). Son corps et tous les pores de sa peau se sont effectivement muselés pour pouvoir s'adapter aux nouvelles contraintes sociales et donc continuer à vivre ou plus exactement à survivre. En revanche, les corps indépendants qui demeurent hermétiques à ces nouvelles normes sont condamnées à mourir, comme le rappel le Poète : " Rachel était faite pour mourir parce que ses jambes dansaient en liberté. Ses jambes refusaient de marquer le pas " (p, 87). Toute manifestation de liberté est interdite, seul le seuil du carrefour est praticable, en l'occurrence circonscrit par le réverbère, à la lumière de tous. Mais la pratique de cet espace circonscrit est également source de mort, comme le rappelle la Femme au Poète : " J'avais bien compris qu'on ne pouvait longtemps rester assis ou couché ou mort sans s'ankyloser. Ou alors on bouge tellement qu'on se fait remarquer. Et ça, on n'aime pas ça ici. Dans cette fosse commune, tout le monde doit rester tranquille. Mort " (p. 76). Cette paralysie est le symptôme du conflit tragique qui résulte de l'hétéroculure. Kossi Efoui le souligne : " J'estime que nous sommes pris dans un étau entre un certain appel à la tradition et des sollicitudes extérieures, entre la tradition et une soi-disant'modernité' et que, dans un cas comme dans l'autre, on n'a pas le droit d'accepter un quelconque enfermement " (3).

La surmodernité impose donc aux membres des sociétés traditionnelles la disparition de leurs pratiques ancestrales afin de pouvoir leur imposer les siennes. Cette assignation à l'oubli opère autant du côté du corps que de celui de la parole, cette dernière n'ayant plus le droit de circuler librement. De même que les jambes de Rachel ont été broyées, les langues seront coupées. Le seul texte audible est désormais celui qui a été légiféré par la nouvelle culture. Le Flic le dit : " Je ne comprends rien à votre texte. Le seul texte qu'on m'a donné, c'est la loi. Parce que tout est résumé en deux mots : 'tu arrêteras et tu conditionneras' " (p. 81). Au besoin, ce nouveau texte est appliqué de force, imprimé dans la chair des récalcitrants par le biais de sévices corporels : " conditionner…couper la langue, crever les yeux…" (p. 82), s'indigne le Poète. La torture imposée aux corps rebelles n'a donc pas pour but de faire parler les condamnés mais bien de les faire taire, de remplacer leur ancien langage par un nouveau, assimilé à la loi.

Au même titre que les langues sont coupées, les livres sont détruits. Les parties du corps violenté sont comparables aux pages déchirées. Le Poète raconte : " Alors de temps en temps les flics faisaient une descente chez lui [son ami peintre] et perquisitionnaient. Ils déchiraient ses livres et ses cahiers et ils brisaient ses tableaux. Et comme ils ne trouvaient toujours rien, ils l'emmenaient et le brisaient en petits morceaux pour perquisitionner en lui " (pp. 78-79). C'est le témoin qui est coupable, celui qui, présent sur les lieux de l'événement, pourra narrer ce qu'il a vu. Les traces de l'histoire doivent en effet être effacées. Pour cela, il faut s'attaquer à la mémoire devenue source de menace, la moindre trace mnésique faisant l'objet d'une traque minutieuse. Même les enfants, héritiers innocents de l'histoire, sont condamnés à porter les marques de cette culpabilité : " Il me faut un chemin avant l'aube où mes enfants se réincarneront dans des corps tuméfiés, obligés de sacrifier à ce carrefour pour un péché que nul n'a commis " (p. 96), énonce la Femme. Mais le Poète résiste, il combat l'amnésie. Il veille à la perpétuation de la mémoire, car là est son rôle : " Je suis la mémoire désormais " (p. 98), ditil à la fin de la pièce. Ainsi le Poète raconte-t-il la même histoire depuis vingt ans.

En choisissant de se saisir du théâtre pour préserver la mémoire, le poéte-dramaturge tente de dépasser le conflit tragique provoqué par l'hétéroculture : " Il faut assumer la crise en créant, en inventant sans cesse de nouvelles formes de vie, de nouvelles valeurs. Je crois que j'ai trouvé dans le théâtre un créneau pour assumer cette crise là " (4), explique Kossi Efoui. Une fois que l'évolution a commencé, constate Bronislaw Malinowski, elle acquiert une impulsion qui lui est propre, devient un processus et une réalité sui generis et possède un déterminisme culturel qui n'est ni africain ni européen, c'est une culture tertium quid (5). Ainsi Kossi Efoui cherchet-il " une écriture qui ne soit ni africaine, ni occidentale, qui émane peut-être de ces cultures, mais qui sera toujours autre chose que ce qui l'a provoqué " (6). Car le poète/dramaturge ne peut plus transmettre l'histoire de manière explicite. L'irruption de la culture'moderne' ayant avalé le langage ancestral, son récit est devenu inaudible.

Dans les structures modernes, comme les Etats africains, écrit Kossi Efoui, où l'Etat est " vecteur de modernité ", la politique récupère tout ce qui est traditionnel en l'investissant d'une idéologie nouvelle. Ainsi, l'Etat,'vecteur de modernité', impose cette modernité-là, sous couvert d'une continuité culturelle. Dans un contexte comme celui-là, l'idéologie finit par tout phagocyter pour laisser la place à des pratiques culturelles vides de sens. L'idéologie traditionnelle qui habitait ces pratiques et qui leur donnait une signification, ne fonctionne plus parce qu'une nouvelle idéologie a récupéré ces pratiques pour en faire de la culture instrumentalisée, de la culture-outil. Ca n'est donc plus de la culture, c'est un instrument idéologique d'où a disparu tout sens du sacré. (7)

Comment témoigner en effet de l'Histoire dans un contexte socio-politique qui rejette de sa culture toute mémoire et par conséquent tout récit s'y rapportant ?
Kossi Efoui tente de restituer cette histoire par le biais des corps qui en portent la trace de l'oubli. Les marques corporelles de la violence se substituent au texte narratif rendant ainsi visible ce que le système s'est acharné à faire disparaître. Les nombreuses allusions ou descriptions relatives au corps et à la chair meurtris prennent ici valeur de témoignage, évoquant les mots d'un récit qui ne trouve plus ni langue, ni langage pour être communiquer. Les mots se sont transformés en marques corporelles. Ainsi le corps est-il devenu livre, les morceaux de la chair, pages de l'histoire et le texte dramatique, corps-texte.

1. POIRIER, Jean, " Tradition et novation. De la'situation coloniale' à la situation hétéroculturelle ", in : GOSSELIN, Gabriel (dir.), Les Nouveaux enjeux de l'anthropologie. Autour de Georges Balandier, L'Harmattan (Logiques sociales), 1993, p. 75.
2. Notion empruntée à l'anthropologue Marc Augé (voir AUGE, Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil).
3. CHENUAUD, Bernard ; EFOUI, Kossi, " La crise de la culture et autres réflexions. Un interview de Kossi Efoui ", in : EFOUI, Kossi, Le Carrefour, L'Harmattan, 1990, p. 63.
4. Ibid., p. 63.
5. MALINOWSKI, Bronislaw, Les Dynamiques de l'évolution culturelle, Payot, 1970, p. 104.
6. CHALAYE, Sylvie, " Le miroir inattendu des violences modernes " in : Afrique noire : écritures contemporaines,Théâtre/Public n° 158, mars-avril 2001, p. 36.
7. CHENUAUD, Bernard ; EFOUI, Kossi, op.cit., p. 65.

 
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De plain-pied dans le texte

Le Poète : Dans une ville morte j'ai rencontré un prêtre fou qui criait seul dans le soleil : " Sauvez votre âme ! "

Le Flic : Personne ne m'a jamais dit une chose pareille. Sauver mon âme. J'entends matin et soir : " Sauve ta peau ". Je dois sauver ma peau et ses os, mon estomac et son pain et ses excréments. On me demande de sauver mes yeux en les fermant, de sauver mes oreilles avec du coton, de sauver ma langue en la retournant sept fois dans ma bouche, le temps d'oublier ce qu'on avait à dire.

La Femme : Le bonheur des yeux, c'est de voir. Le bonheur des oreilles, c'est d'entendre. Le bonheur de la langue, c'est de demander : Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? C'est un mot douloureux. Le bonheur du corps c'est de... C'est de...

Le Souffleur : Souvienstoi de Rachel ! (Un temps)

Le Flic : On m'a seulement dit l'urgence de sauver mon corps en le cadenassant dans cette armure rigide. Sauver mon corps avec son sang coagulé. J'ai peur. J'ai la peur, la peur à la place de l'âme. Je n'ai pas le luxe de sentir du vide à l'âme. Comme vous autres désespérés, romantiques, souffreteux, camés poétisants. Je ne sens pas de vide. Je sens parfaitement quelque chose quelque part à la place de l'âme que je n'ai plus. Je sens cette chose qui déséquilibre parfaitement mon corps, lui donne cette assurance que vous prenez pour de la bravade, cette allure martiale que vous prenez pour de la rigidité. Je suis plein, satisfait. De peur. De cette chose qui te bouffe jusqu'à
ce que tu ne te sentes plus. Le temps que tu la sentes au cœur, tu n'as plus de tête. Tu la sens dans l'estomac et tout se noue là-dedans. Il n'y a que les excréments qui y échappent, qui s'en échappent et s'évacuent d'euxmêmes. Tu la sens aux jointures et les ligaments lâchent par légion. Le temps que tu la sentes dans les couilles, il n'y a plus rien à la place.

La Femme : J'ai peur (pp. 93-94).

 
 
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Pour poursuivre le voyage


Bernard Chenuaud : J'aimerai maintenant que nous parlions de votre pièce, du Carrefour. A première vue, c'est une œuvre pessimiste : il y a ce Poète qui fuit la cité-prison et qui, après la millième barrière, revient sur ses pas ; il y a cette Femme qui l'a attendu et avec laquelle le dialogue ne pourra véritablement renaître ; il y a ce policier qui, lui aussi, l'attend et rappelle sans cesse son arrestation inéluctable ; et puis, il y a le Souffleur, cet ange créateur qui n'arrivera pas à faire renaître le dialogue et dont on découvre qu'il n'est autre que le Poète, brisé par la répression et qui tente d'exister par le souvenir…
Que veut dire ce pessimisme ? Où sont les valeurs de vie que vous revendiquez tout à l'heure ?

Kossi Efoui : Le Carrefour est l'espace symbolique de la vie et, dans la culture éwé [population du Sud-Togo], le lieu symbolique du sacrifice, du choix ; c'est aussi le lieu de la confrontation. Il y a d'ailleurs une expression dans ma langue qui dit : " On va se retrouver au carrefour ". C'est donc un lieu antagonique.
Ce qui se passe à ce carrefour est une sorte de bilan, un bilan de l'échec. Mais c'est aussi une première étape, c'est le moment où l'on s'arrête pour réfléchir et se dire que finalement, il y a quelque chose à faire.
Nous parlions tout à l'heure, d'inventer des valeurs de vie. Il faudrait plutôt dire réinventer, parce que ces valeurs ont toujours existé. Elles ne font qu'entrer en crise et changer de forme périodiquement. Ce qui se passe u carrefour, c'est une vie qui tombe en décrépitude, tout simplement. (1)

1. Ibid., p. 66.

 
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Fiche réalisée par Laurence BARBOLOSI

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