LABORATOIRE
DE RECHERCHE

   Présentation SeFeA
   Activités
   Partenaires
   Membres
   Publications
   Projets et appels à communication


REPERTOIRE
CONTEMPORAIN

   par titre
   par auteur
   par pays
   par genre
   par thème
 
  Recherche
 
Recherche rapide
par mots-clés
  Recherche avancée
  Actualité théâtre
Tout le théâtre africain avec Africultures.com agenda, critique, festivals, articles...

  Présentation du site
  Documents et matériaux
  Bibliographie
  Contact

  Accueil
 
 


Fiche pièce
Picpus ou La Danse aux amulettes



L'AUTEUR
Makhélé Caya



Evénements à suivre
L'agenda du moment autour de la personne/l'oeuvre

 

 
 
 
       
       
       
Picpus ou La Danse aux amulettes
Makhélé Caya

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Laetitia BENECH


  République du Congo
1995
Editions L'Harmattan, Paris, 1995. Rééd. Acoria, 1997
 
Genre
Comédie dramatique

Nombre de personnages
1 femme
1 homme
deux ombres accompagnent les personnages

Longueur
2 tableaux
54 pages


Temps et lieux
Une nuit, dans un appartement

Thèmes
impossible réinsertion d’un serial killer (l’)

Mots-clés
dualité , identité. , mythe , quiproquo , réinsertion , rite , sacrifice , théâtre
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
haut de page
 
 

Un premier repérage : La fable

La pièce démarre sur le principe du quiproquo pour progressivement lever le voile des identités et des obsessions de Picpus. Picpus est un personnage aux multiples visages qui à la suite d'un long internement psychiatrique doit se réinsérer dans la société. La pièce débute lorsque celui-ci se rend au rendez-vous avec sa conseillère de réinsertion. La rencontre entre les deux personnages dans l'appartement de cette dernière, pourrait se dérouler normalement si Picpus et la jeune femme étaient réunis pour une mission respectivement entendue. Seulement il n'en est rien car il y a erreur sur la personne. La véritable identité des personnages est ignorée de l'un et l'autre. Sybille est en fait une prostituée qui ayant du mal à comprendre les intentions de son hôte, le prend pour un client aux exigences particulières. Prise au piège de l'étrange jeu de son partenaire, elle sera l'instrument de son exorcisme en lui étant sacrifiée lors d'un obscur rituel exutoire.

 
haut de page
 
 

Parcours dramaturgiques

Picpus ou La danse aux amulettes est un huis clos qui se divise en deux parties : une première intitulée "Le Jour et la Nuit" et une seconde "La Nuit et le Jour".
Les indications des sous titres ne sont pas simplement des références temporelles mais aussi des indices métaphoriques renvoyant à la clarté et à l'obscurité du jeu d'apparitions et de disparitions des éléments se référant à la reconstruction de la mémoire de Picpus.

SIBYLLE - Voilà, nous avons passé une nuit entière dans un vide total. L'aube se lève. (…)
PICPUS - Il n'y a jamais eu de nuit, pourquoi voudriez-vous qu'il y ait le jour ? (p.102)

La pièce se présente sous la forme d'un dialogue entre deux personnages, Picpus et Sybille qui sans le savoir ignorent respectivement la véritable identité de leur interlocuteur.

La rencontre se fait dans l'appartement de Sybille, un espace apparemment sobre et neutre que la jeune femme veut préserver de toute intrusion microbienne, autrement dit un espace qui se voudrait aseptisé et préservé de l'extérieur. Picpus lorsqu'il se présente au domicile de la jeune femme, le visage recouvert de sang, vient alors bouleverser l'ordre et la vocation de ce lieu.
Ces deux personnages semblent fonctionner par systèmes antagonistes : l'un voulant se préserver de l'extérieur par sa saleté l'autre par le biais d'une continuelle décontamination.

Picpus dans sa première apparition est présenté comme un personnage manipulé par une ombre ; celle de ses voix intérieures, celle de son passé tourmenté. Il est pris au piège entre deux dimensions qu'il ne sait démêler l'une de l'autre.
Cette construction intérieure du mal de Picpus sera un leitmotiv de la pièce puisque le principe de communication entre les deux personnages est celui de deux réalités qui croient communiquer mais qui se situent pourtant dans deux dimensions bien différentes. Les didascalies accentuent ce processus de décalage entre les deux personnages en nous révélant les voix intérieures et les hallucinations de Picpus sans que Sybille ne les remarques. Par ce procédé d'écriture, le lecteur est directement confronté à la subjectivité délirante de Picpus.

PICPUS - Il semble voir les deux Ombres. L'Ombre F donne le sein à l'Ombre H.
Vous ne trouvez pas qu'il se passe des choses bizarres ici ?
SIBYLLE - Non, pourquoi ?
PICPUS - J'ai cru voir une femme donner le sein à un homme.
SIBYLLE - Elle regarde autour d'elle et ne voit rien.
C'est peut être un souvenir qui remonte en vous Il est marqué sur votre fiche orphelin. Vous confirmez ? (p.100-101)

Picpus et Sybille se sont réunis pour répondre à une mission que chacun croit devoir remplir par le biais de l'autre, mais sont néanmoins pris au piège du quiproquo.
C'est une pièce basée sur le principe du malentendu.
Sibylle est dans un principe d'échange commercial auquel Picpus répond par désillusion du monde dans lequel il veut se réinsérer. Son idée du monde est en marge de celui-ci. Il en a été absent très longtemps et veut aujourd'hui le réintégrer.

Pour communiquer avec Sybille, Picpus met en scène l'objet de sa folie, la cause de ses obsessions tel un acteur n'arrivant plus à discerner le personnage de son être véritable. Alors que le jeu se présente comme le seul moyen de communiquer son mal et se raconter vraiment en poétisant sa vie, Picpus enferme rapidement sa partenaire dans sa propre dimension où jeu et réalité se confondent en un rituel dangereux.
Le rituel est comme une théâtralité avec laquelle il s'amuse et à travers ce procédé il symbolise les forces archaïques de l'Afrique afin de mettre en place un espace de représentation de ses démons intérieurs. Picpus s'incarne alors lui-même dans le représentant des forces passées qui le hantent et freinent sa réinsertion dans le monde actuel et contemporain que représente Sybille.

Une fois les lanternes figurant le moment de la représentation éteintes, Sibylle reste bel et bien enfermée dans l'univers fictionnel de son partenaire. Picpus l'a consacrée en la transformant en un personnage clé et rédempteur de son propre jeu dont elle ne sortira désormais plus indemne. Elle devra être sacrifiée comme la première victime des hallucinations passionnelles de Picpus, Véra, la femme fantôme qui hante aujourd'hui encore son esprit tourmenté. Par ce sacrifice Caya Makhéle interroge le spectateur sur la nécessité de faire coexister les origines d'une société avec son présent afin de pallier à cette schizophrénie qu'incarne ici Picpus :

"J'ai grandi dans un monde où la dualité est la forme première de l'existence. Dualité entre le visible et l'invisible, entre le moderne et le traditionnel, entre le village et la ville, entre ma culture congolaise et la culture française, que j'ai fait mienne par obligation. (…) Je dois à chaque fois parvenir à réunir ces deux univers en un seul ; c'est à ce prix que je suis capable de trouver mon chemin. C'est pourquoi mes personnages, quand ils sont dans un univers et pas dans l'autre, vont toujours dans la mauvaise direction et se trompent parce qu'ils n'ont pas réussi à réunir les deux univers." (1)

1. Sylvie Chalaye, entretien avec Caya Makhele, Africultures, numéro 1, octobre 1997, pp.66-73.

 
haut de page
 
 

Pistes de lecture

Le titre
"Danse aux amulettes" fait directement appel à une référence traditionnelle et rituelle de l'Afrique ancestrale.
Le prologue que l'auteur intitule Partition souligne que l'un des thèmes majeur de la pièce sera la possession, en assimilant ce terme aux rituels de la vieille Afrique :
"Il s'agit donc de possession comme l'entendent les sectes rituelles africaines, une métamorphose continuelle, qui ne peut s'arrêter que par un sacrifice."(p.79)
L'ouverture de la première scène marque cette caractéristique puisque en entrant dans le lieu de la représentation Picpus "dispose plusieurs bougies allumées dans chaque coin de la pièce constituant ainsi quatre stèles " (p. 84). Picpus consacre l'espace de jeu avant même que la deuxième protagoniste n'entre en scène et s'annonce dès lors comme le dépositaire de l'espace rituel au sein de la représentation.

Les personnages nommés comme références universelles.

"Quant à moi j'essaye de trouver dans chaque destin une sorte de capacité mythologique, une existence au-delà des destins cloisonnés pour accéder à une continuité à travers le temps et l'espace. Ces cristallisations mythologiques font que chaque personnage porte en lui une multitude de destins qui lui permettent à un certain moment de s'identifier à des éléments de la nature ou à d'autres personnages." (2)

Une des principales pistes de lecture réside dans la nomination des personnages de la pièce.
Sibylle, la jeune prostituée que Picpus croit être conseillère de réinsertion porte le nom aujourd'hui générique de la devineresse de l'antiquité, femme inspirée qui prédisait l'avenir. Cette référence à la Sibylle de Cumes qui accompagne Enée en enfer pour demander conseil à son père afin de mener à bien la reconquête de Troie nous éclaire sur la pièce de Caya Makhélé.
Dans la pièce, Sybille accompagne Picpus dans la descente aux enfers de son inconscient où il retrouve le personnage de Véra son amour passé qu'il a assassiné dans un excès de paranoïa.
Véra est un jeu de mot autour de l'étymologie de vérité, elle représente une vérité inaccessible.
Picpus ne porte pas son véritable nom, Pédro de Guamoutcha, mais le surnom qu'on lui donnait enfant, il refuse son nom civil comme une autre identité de lui-même, révolue et contre laquelle il se bat. L'extrait qui suit explique pourquoi Picpus se présente le visage en sang chez Sybille. La personne dont il parle n'est autre que lui-même ou un autre lui qu'il essaie de détruire :

PICPUS - Il devient fébrile.
J'ai tenté de le semer. Impossible. Tout s'est déroulé près de chez vous. Très vite. Je savais que c'était très dangereux d'oser l'affronter, mais voilà, j'ai décidé d'être courageux de temps en temps. (p.93)

Picpus se fait aussi appeler Othello par ses amis, c'est là une identité fantasmée et usurpée au personnage éponyme de la pièce de Shakespeare qui, comme lui, assassina son amour dans une crise de démence paranoïaque.

L'origine de ce nom est aussi un jeu de mot de l'auteur signifiant très clairement les enjeux de la personnalité du personnage :

"C'est parti d'un jeu de mot avec mon fils. Le personnage pique comme une puce, il s'accroche, il ne désarme pas, il est toujours là, il revient toujours, il se répète, sans réaliser qu'il se répète. C'est la puce dont on ne se débarrasse pas. Je pense qu'un chien qui lirait la pièce comprendrait bien le personnage de Picpus." (3)

A travers toutes ces références aux noms des personnages de la pièce, Caya Makhélé nous laisse une suite d'indices tout à fait éclairants et nous permettent de saisir une multitudes d'enjeux dramaturgiques plus ou moins disséminés dans son écriture.

2. Ibid.
3. Ibid.

 
haut de page
 
 

De plain-pied dans le texte

SIBYLLE - Parlez- moi de Véra, comment l'avez-vous…

PICPUS - Connaissez-vous l'histoire du clown savant ?
Il retourne son chapeau, se renverse sur le visage de la poudre blanche qu'il sort de sa poche et se transforme en clown, tandis que les deux ombres allument chacune une lanterne chinoise.
La place est déserte. Un cœur traîne sur le bitume. La lune est là haut qui se reflète dans un grand baquet, plein d'eau, au milieu de la place. A pas lents, le clown savant avance. Il semble réfléchir profondément, contemple la lune, se pâme de plaisir, essaie de saisir son reflet. L'eau se brouille. Soudain il trébuche sur un objet, s'arrête étonné. Il regarde de tous côtés, autour de lui, en l'air.
Il accompagne chacune de ses paroles de grands gestes appuyés.
Il aperçoit un cœur abandonné, se baisse gravement, le ramasse, l'examine curieusement, l'emporte. Mais le clown savant paraît bientôt très embarrassé de sa trouvaille. Il s'assied, se consulte, médite longuement. Et tout à coup, une idée traversant son esprit, il se frappe le front, attrape l'idée au vol et manifeste une grande joie. Le clown savant ouvre une trousse de médecin. Il en sort des instruments de chirurgie. Il prend le cœur qu'il a déposé près de lui, se prépare à en faire l'autopsie. Tous ses efforts sont vains. Il ne peut, il ne sait ouvrir le cœur, un cœur aussi dur. Ses instruments se cassent. Est-ce un cœur de pierre ? Comment voir ce qu'il contient ? Le clown savant se désespère. Véra entre alors, en mimant qu'elle a perdu son cœur et qu'elle le cherche.
Après un instant de silence.
Faites Véra s'il vous plaît !

SIBYLLE - Faire Véra, moi ?

PICPUS - Oui, vous.

SIBYLLE - D'un ton résigné.
Si c'est cela votre fantasme, après tout je n'avais qu'à ne pas dire qu'ici le client est roi.
Elle s'exécute et mime tout en racontant.
Véra furète partout, inspecte les pavés ; un moment, comme elle va à reculons, cherchant toujours, elle heurte le baquet plein d'eau. Surprise, peureuse, elle n'ose plus bouger. Puis, un doigt sur ses lèvres, une main sur la place vide de son cœur, d'un air enjôlant et coquet, elle renverse sa fine tête en arrière, pour voir ce qui l'a effrayée.

PICPUS - Et dans ce mouvement, saille élégamment sa croupe, en éventail au bas de ses reins cambrés. (…)

PICPUS - Tu furètes de nouveau ; tout à coup, tu remarques le vieux clown qui n'a prêté à ton arrivée aucune attention. Il examine, à la loupe le cœur, ton cœur de femme. Il le tourne et le retourne, anxieusement.

SIBYLLE - L'air désespéré.
Oh, mon gentil petit cœur, comme tu m'as manqué, toi qui poétisait mes désirs infidèles.

PICPUS - Vite, le visage mutin de Véra s'illumine de bonheur. Elle va vers le clown et lui dit :

SIBYLLE -L'objet que vous détenez est à moi. Rendez-le moi, beau clown.(…)

PICPUS - Le savant, lui, n'ignore pas le baiser, il a écrit une physiologie de l'amour, d'après d'autres livres et quelques visites pédantes au bordel du coin. Cependant, puisqu'une occasion se présente, il saura par sa propre expérience ce que renferme le cœur d'une vraie femme. Comment s'y prendre pour parvenir à la découverte du mystère ? N'y a t-il pas un point à toucher, afin que le cœur s'ouvre, Impossible de le trouver. Il supplie Véra de l'aider.

SIBYLLE - Elle hésite, regarde avec effroi la trousse du savant, puis sa figure s'illumine dans un éclat de rire. Elle fait signe au clown savant qu'elle est prête à lui être agréable : "Pour que je puisse vous expliquer le mécanisme de mon cœur, il me le faut". Le clown savant fait une grimace. Plein de méfiance, il refuse. Véra insiste.

PICPUS - La curiosité l'emportant alors sur la prudence le clown le rend à Véra son petit cœur. Sitôt qu'elle l'a, elle fait un bond, s'éloigne du clown savant, avale son cœur et disparaît sur une pirouette !
Silence

SIBYLLE - L'histoire ne s'arrête pas là, le clown savant a suivi Véra dans une rue déserte, il a…
On entend un cri déchirant d'une femme qu'on agresse.
Cela s'est passé ainsi n'est pas ?

Les Ombres éteignent les lanternes.

(Caya Makhélé, La danse aux amulettes, Acoria, pp. 33-36)

 
haut de page
 
  Du texte à la scène…

La danse aux amulettes a été crée le 10 juillet 1997 à l’Espace Prespectives à l’occasion du Cinquantenaire du Festival d’Avignon et repris le 14 septembre 1997 au Proscenium Théâtre à Paris par le Théâtre Acoria, dans une mise en scène de l’auteur.

 
haut de page
 
 

Pour poursuivre le voyage


Caya Makhélé, "L'Art du risque", préface, Nouvelles dramaturgies d'Afrique noire francophone, sous la direction de Sylvie Chalaye, PUR, Rennes, 2004.
Caya Makhélé, "De l'oralité comme source d'inventivité contemporaine", entretien, ibid., pp.171-177.
Sylvie CHALAYE, "Caya Makhélé : des écritures du croc-en-jambe", Afrique noire et dramaturgies contemporaines : Le syndrome Frankenstein, coll. "Passages francophones", Théâtrales, Paris, 2004.

 
haut de page
 
 
       
 

Fiche réalisée par Laetitia BENECH

  > Imprimer