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Véridique histoire de Hourya (La)
Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Stéphanie BERARD
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Martinique
2000
Editions L'Harmattan, 2004
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Genre
Drame historique
Nombre de personnages
3 femmes
15 hommes
Plus de 18 personnages dont un bestiaire ("les Bêtes" : la Chouette, le Crapaud, la Vipère, le Vautour, le Corbeau, le Chacal, le Vampire), les musiciens, le chÅur des femmes
Longueur
97 pages
Temps et lieux
la deuxième moitié du XXème siècle en Algérie
Thèmes
guerre dâAlgérie , indépendance , émancipation des femmes
Mots-clés
Algérie , émancipation , femmes , guerre dâindépendance , mémoire , récit , résistance , terrorisme
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Consultation de la fiche par rubriques |
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Un premier repérage :
la fable
Résumé de la pièce
Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité
de la structure et son fonctionnement général par
rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.
Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique
qui permet de dégager une interprétation et les
véritables enjeux de la pièce
De plain-pied dans le texte
Un extrait
Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture
à sa création en passant par les lectures dont elle
a pu faire l'objet
Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce
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Un premier repérage : La fable
Le personnage éponyme de la pièce, Hourya (dont le nom arabe signifie "liberté"), fait le récit de son combat pour libérer l'Algérie de l'oppression française, et la femme de l'emprise masculine. Un va-et-vient s'opère entre le passé de l'action et le présent de la narration : à l'histoire du peuple algérien et de la guerre d'indépendance se mêle l'histoire de la jeune fille qui a été témoin d'arrestations et d'exécutions, et qui a elle-même pris part au combat malgré l'interdiction paternelle. Hourya a en effet participé directement à la libération de son pays, par des actions terroristes, contribuant ainsi à l'émancipation de la femme algérienne. Son récit, à tonalité lyrique, se déroule en présence de femmes éplorées qui font cercle autour de la "conteuse" ; il alterne avec des flash-back qui mettent en scène les acteurs de la guerre d'Algérie (colonel, colon, capitaine, militairesâ¦). Ce récit est aussi régulièrement interrompu par les interventions intempestives d'un bestiaire abject censé représenter le pouvoir masculin qui condamne aujourd'hui la femme à l'asservissement dont elle était hier victime.
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Parcours dramaturgiques
Le récit de Hourya est enchâssé dans un récit cadre : la pièce s'ouvre sur un "présentateur", histrion ridicule et caricatural qui présente la dernière scène de la pièce de Shakespeare, La mégère apprivoisée. Cette représentation théâtrale, symbolique du pouvoir de l'homme auquel est soumise la femme, est brutalement interrompue par un "récitant" venu faire taire le public bruyant et moqueur du bestiaire pour permettre l'entrée en scène de Hourya. Daniel Boukman accuse ici la théâtralité de la parole qui va se dérouler sur la scène, une parole encadrée par le discours du "récitant" qui ouvre et ferme le récit féminin. On peut s'interroger sur la valeur de l'adjectif "véridique" qui qualifie "l'histoire de Hourya" dans le titre de la pièce : a-t-il pour fonction d'opposer l'histoire de la jeune Algérienne avec celle fictive de l'héroïne shakespearienne, ou avec celle mensongère de l'histoire officielle qui a tendance à reléguer la femme dans l'ombre, voire à nier sa participation à l'Histoire ?
La narration féminine présente alterne avec des scènes passées qui ont lieu du temps de la guerre d'indépendance et qui relatent des épisodes passés du temps de la guerre : discussion du colonel et de sa suite (secrétaire, sociologue, colon) en mai 1945, rébellion en novembre 1954, interrogatoire de Hourya, scène de torture, attentat à la bombe dans un café. Ces analepses sont systématiquement annoncées par le "noir" qui s'installe sur la scène et parfois par des bruits qui fusent dans l'obscurité (explosion, rafales, crisâ¦) recréant ainsi l'atmosphère de violence qui règne en temps de guerre. Ainsi, plusieurs espaces géographiques et temporels se juxtaposent sur la scène : le récit présent de Hourya entourée d'un cercle de femmes, récit interrompu par les interventions virulentes du bestiaire qui joue le rôle de spectateurs indisciplinés, alterne avec les scènes de dialogues passés. Cette structure temporelle complexe rend compte du travail de la mémoire qui, défaillante et infidèle, tente de reconstituer le passé : les souvenirs épars reviennent dans le désordre, des événements précisément datés sont parfois rejoués, et la trame narrative se reconstitue progressivement.
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Pistes de lecture
Le récit de Hourya commence comme un conte merveilleux, situé dans un passé lointain et indéterminé, un temps idyllique ("Il était autrefois une terre parée d'oiseaux de blés de gazelles et de roses") et se poursuit dans l'univers réaliste et violent de la colonisation puis de la guerre. La tonalité lyrique du discours versifié contraste avec les paroles grossières des bêtes qui insultent Hourya et à travers elle la femme, ainsi qu'avec les discours prosaïques des représentants du pouvoir français (colonel, capitaine, sociologue, préfetâ¦) dans les scènes de flash-back. La narration poétique féminine alterne en effet avec les dialogues de personnages masculins mis en scène dans les analepses. Plusieurs voix se succèdent, celle de la narration et du dialogue, celle de la poésie et de la prose, celle du présent et du passé.
La voix de Hourya est relayée une musique de flûte et par du chÅur des femmes, voilées de blanc, couleur du deuil : venues pour écouter sa parole, elles font cercle autour de la "conteuse" ; elles prient, pleurent et se lamentent sur la mort de leurs fils ; elles crient leur douleur et leur colère à Dieu à qui elles demandent vengeance : "O Dieu ! Que ton courroux éclate !" devient le refrain lancinant qui rythme le récit de Hourya. Cette communauté de femmes rappelle le chÅur antique de la tragédie grecque, mais aussi l'auditoire des veillées funéraires ou des veillées de contes. Cette mise en scène place le spectateur en retrait et crée un espace intime où la parole de Hourya est adressée d'abord aux femmes qui l'entourent et ensuite aux spectateurs assis dans la salle. L'auditoire privilégié, constitué par le cercle féminin, devient ainsi le récepteur et le réceptacle de la parole confidentielle de Hourya qui communie avec ses "sÅurs" dans le partage de la même souffrance. La parole de Hourya délivrée, recueillie et répercutée en écho dans le chÅur des femmes, devient un exutoire : elle permet de revisiter le passé et de s'en libérer pour faire face au présent et à l'avenir, celui d'une liberté à reconquérir.
La lutte continue en effet pour la femme algérienne en prise aujourd'hui au pouvoir de l'homme qui lui dénie les droits qu'elle a si vaillamment conquis pendant la guerre d'indépendance. Le bestiaire, constitué d'animaux qui interrompent sans cesse la parole de Hourya, représente la gente masculine qui méprise la femme, renie sa participation à la lutte pour l'indépendance, et la condamne à l'asservissement passé. Mourad Yelles, auteur "Derrière les voiles", texte placé en préface de la pièce, déplore la régression actuelle du statut de la femme en Algérie ; la guerre d'indépendance avait permis de révéler "une nouvelle image de la féminité" (p. 14), une image que certains hommes souillent à nouveau et tentent d'effacer pour reléguer la femme dans son rôle de servante obéissante et soumise. La voix de Hourya s'élève contre le pouvoir de l'homme, contre le mépris et l'asservissement, et clame haut et fort que "le combat pour la liberté n'est limité ni à une classe, ni à une race, ni à un sexe, ni à une époque, ni à un espace." (Mourad Yelles, Préface, p. 13). La pièce se termine sur une note d'espoir avec le chant de l'alouette délivrée, symbole d'une liberté à venir.
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De plain-pied dans le texte
Extrait pp. 46-48.
La mère
Ma fille, où as-tu la tête ?⦠Depuis quelque temps, tu vis à côté des nuages ! Tu penses à quoi ?⦠A ton âge, mes rêveries avaient un sens⦠Je disais à moi-même : "Bientôt, tu seras la femme d'un homme que tu vas entourer d'amour, de l'amour que l'épouse doit à son époux"⦠Je pensais aussi aux enfants à éduquer dans le respect de Dieu et de leur père⦠Hélas ! aujourd'hui, les jeunes filles ne songent plus aux choses du mariage, mais à la guerre !
Hourya
Mère, il faut comprendre⦠Le paysâ¦
La mère
Prépare-toi à devenir une bonne épouse ! Voilà ton seul devoir, ma fille !
Hourya
Mère, si un jour, moi, ta fille, je devais sortir, seule, sansâ¦
La mère
Que Dieu me préserve d'une telle malédiction !⦠Tu veux que ton père meurt de colère et moi, de honte ? Et les voisins ? Et ta réputation ?
Hourya
Mère, il faut comprendre⦠C'est la guerre⦠les frères⦠Comment t'expliquer ?
On frappe
Le père
C'est moi⦠Bonsoir à vous⦠Tu peux rester, Hourya !
La mère
Qu'est-ce qui se passe ? Tu⦠Said !!
Le père
Non ! Ce n'est pas notre fils, mais Omar, le fils de Si Larbi⦠Ils l'ont arrêté⦠Si Larbi aussi, ils l'ont emmené⦠Il faut prendre des dispositions pour le cas où⦠Enfin, on ne sait jamais⦠Il faut être prêts !
La mère
Mais explique-moi !
Le père
Non, rien, rien du tout !⦠Ce matin, ils ont barré la rue⦠Ils ont aligné tous les hommes, les mains levées, le dos au mur !⦠Les suspects, comme ils disent, ils les ont embarqués. Comme du bétail !⦠Ils ricanaient ⦠J'ai senti mon sang bouillir⦠Ce n'est pas une vie !
Hourya
Père⦠père, je veux rejoindre Said !
Le père
Ma fille, les mains des femmes ne sont pas faites pour la guerre !
Noir
Hourya
Oui, père !
Ces mains de femme
n'étaient pas faites pour la guerre.
Les mains des hommes
non plus !
Et pourtant
nous l'avons faite, cette guerre
mains d'hommes mains de femmes
unies.
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Du texte à
la scène
La véridique histoire de Hourya est une pièce écrite en 1965, soit quelques années après lâindépendance de lâAlgérie, alors que Daniel Boukman enseignait au lycée Ibn Toumert de Boufarik en Algérie, où il a vécu de juillet 1962 à 1981. Câest la représentation de La Mégère apprivoisée (traduite en arabe) au T.N.A. (Théâtre National Algérien) qui lui inspire lâécriture de sa pièce. Etonné que la pièce de Shakespeare soit jouée sans « la moindre distance critique quâelle aurait [â¦] dû subir vu le moment et le lieu de sa représentation » (Avertissement, p. 8), Daniel Boukman décide de rendre hommage à la femme algérienne et à son combat pour la libération du pays en faisant débuter sa pièce là où se termine La Mégère apprivoisée. La véridique histoire de Hourya restera à lâétat de manuscrit jusquâen 2000, date à laquelle Boukman, conscient de lâétonnante actualité de ce texte, décide de le faire publier : « Après relecture, il mâa semblé quâelle nâavait pas, cette pièce, tellement vieilli ; que même elle émettait encore des signaux comme en écho avec la réalité algérienne dâhier et dâaujourdâhui. » (Avertissement, p. 8). Publiée pour la première fois en 2001 (Editions New Legend), La véridique histoire de Hourya a été rééditée en 2004 aux Editions LâHarmattan, mais nâa encore jamais été mise en scène.
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Pour poursuivre le voyage
Les articles suivants concernent davantage le théâtre de Boukman en général que la pièce La véridique histoire de Hourya :
Jones Bridget, "Theater and Resistance? An introduction to some French Caribbean Plays", in An Introduction to Caribbean Francophone Writing. Guadeloupe and Martinique (ed. Sam Heigh), New York, 1999, pp. 83-100 (les pages 94-98 sont consacrées à la pièce Les négriers)
Ruprecht Alvina, "Stratégies d'une dramaturgie politique ; le théâtre anticolonial de Daniel Boukman", L'annuaire théâtral, Revue québécoise d'études théâtrales, n° 28, automne 2000, pp. 59-72.
Ruprecht Hans-George, "Le théâtre engagé de Daniel Boukman : masques, chants et révolte dans la situation post-coloniale", in Les théâtres créolophones et francophones de la Caraïbe (ed. A. Ruprecht), Paris, L'Harmattan, 2003, pp. 135-154.
Upton Carol-Anne, "The French-speaking Caribbean: journeying from the native land", in Theaters Matters. Performance and Culture on the World Stage (ed. R. Bloom; J. Plastow), Cambridge University Press, 1998, pp. 97-125. |
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Fiche réalisée par Stéphanie BERARD
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