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Fiche pièce
Misterioso - 119



L'AUTEUR
Kwahulé Koffi



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L'agenda du moment autour de la personne/l'oeuvre

 

 
 
 
       
       
       
Misterioso - 119
Kwahulé Koffi

Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Virginie Soubrier (Université de Paris IV)


  Côte d'Ivoire
2005
Editions théâtrales, 2005
 
Genre
Tragédie

Nombre de personnages
Un choeur de femmes, nombre indéfini (au moins 6 femmes).

Longueur
17 tableaux
67 pages


Temps et lieux
Un jeudi du XXIe siècle, une prison française

Thèmes
Altérité et identité dans une prison de femmes

Mots-clés
choralité , chœur , fait divers , onze septembre , prison , témoignage , théâtre dans le théâtre , viol
 
 

  Consultation de la fiche par rubriques
 

Un premier repérage : la fable
Résumé de la pièce

Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité de la structure et son fonctionnement général par rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.

Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique qui permet de dégager une interprétation et les véritables enjeux de la pièce

De plain-pied dans le texte
Un extrait

Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture à sa création en passant par les lectures dont elle a pu faire l'objet

Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce

 
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Un premier repérage : La fable

Dans une prison pour femmes, plusieurs intervenantes extérieures ont mystérieusement disparu, "sans laisser de corps". Pourtant, chaque jeudi depuis plusieurs semaines, une comédienne vient de plein gré dans cette "arène aux louves" pour monter un spectacle, "pom-pom girls, grande musique, théâtre mélangés". La pièce s'achève comme elle a commencé : le corps de la nouvelle intruse disparaît ; les détenues s'en partagent les morceaux ; et les traces de sa présence sont effacées. De ces filles en déshérence, qui ont tué, volé ou dealé, et qui se détestent, une se détache plus particulièrement : celle qui tuera la comédienne, et qui doit aussi jouer seule, contre sa volonté, le rôle du chœur dans le spectacle. Un rapport singulier s'instaure entre elles, dans lequel la victime se plie toujours plus aux désirs et aux pulsions de son bourreau. Ceignant l'histoire de ces deux personnages, s'élèvent les voix des autres filles : paroles fragmentaires ou récits, il en va le plus souvent de leur intimité, d'une intimité meurtrie et violée. Tandis que les paroles se déploient, une violoncelliste hors scène, dans l'auditorium 119, tente inlassablement de jouer un air "à fendre l'âme du silence" : Misterioso, de Thelonius Monk.

 
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Parcours dramaturgiques

La fable ‘suspendue'

Misterioso-119 raconte une histoire. La catastrophe finale est connue d'avance, la comédienne l'annonce d'emblée : elle sera tuée. Pourtant la causalité dramatique qui mène à la catastrophe est brisée : la pièce s'ouvre de façon arbitraire sur une séquence polyphonique, puis la fable se construit au fil du drame, de façon erratique : ellipses, digressions, pauses et faux raccords contribuent à perturber l'avancée linéaire de la fable. Les dix-sept séquences qui composent le drame se présentent ainsi comme des blocs de paroles autonomes. Nulle logique dramatique ne préside à leur succession. Privée d'articulations logiques, la fable de Misterioso-119 est sans commencement : c'est une fable ‘suspendue'. L'histoire s'égare, comme l'air de Monk qu'essaie de jouer la violoncelliste : "Parce que même si je ne comprends pas, même si on ne comprend pas, on sent qu'elle essaie de dire quelque chose, de raconter quelque chose. On la suit. Sans trop savoir où, d'ailleurs", explique l'une des détenues. Ces extravagances de la fable invitent ainsi le lecteur à se départir d'une approche intellectuelle du texte : elles installent un ton d'écoute particulier et suggèrent que les mots sont ici, avant tout, matière sonore.


Matière sonore

Misterioso-119 réside dans la richesse de la parole chorale qui s'y déploie. Kwahulé, en recourant au procédé du théâtre dans le théâtre, se joue avec jubilation des fonctions traditionnelles du chœur ("Toutes les autres, vous serez pom-pom girls, les Golden Girls. À moi seule je forme le chœur. Pourquoi m'avez-vous imposé une telle idiotie ?") et livre dans le même mouvement une parole chorale inédite. Le texte se présente comme une partition musicale : les personnages sont anonymes, seuls les blancs typographiques permettent d'en distinguer les répliques. Néanmoins, chaque voix acquiert peu à peu une tessiture et une tenue particulières. Chaque séquence se distingue par son rythme propre. Ici, les paroles sont laissées en suspens, creusant le silence, là, dans les monologues, elles se déploient, dévoilant plus nettement la singularité irréductible d'une voix. Dans les séquences polyphoniques, les énoncés expriment tour à tour une indicible nostalgie, un regret, un espoir, une exaspération, parfois un sentiment indécidable. Ces voix désaccordées et discordantes contribuent à opacifier et à brouiller le sens du drame, c'est-à-dire à la fois la causalité dramatique et la signification même du drame. L'air de Misterioso que joue la mystérieuse violoncelliste semble ainsi la seule ligne mélodique à laquelle s'accrocher. Pourtant "C'est du bruit. Du foutage de gueule. Elle se paye notre tête. Elle se donne un genre. Et ça fait des semaines qu'elle le fait couiner ce violoncelle." Le foisonnement de ces voix contradictoires crée un chant, mais un chant confus, dissonant, disharmonieux. Et, au centre de cette confuse polyphonie, il y a l' "improviste".







La comédienne : une "improviste"

La comédienne de Misterioso-119 est un personnage singulier. Elle est, pour reprendre le titre du livre de Jacques Réda sur le jazz, une "improviste". En effet, rien ne justifie sa présence dans ce lieu clos dont elle sait pourtant qu'elle ne sortira pas. C'est un personnage insaisissable, sans intériorité et sans identité préétablie ; elle a la présence d'une absente : "Je mène une vie sans fenêtre. Je n'ai pas de chien, je n'ai pas de chat, je n'ai pas de poisson rouge, je n'ai pas d'ami, je n'ai pas de mari, je n'ai pas d'enfant. Une vie sans fenêtre." Comme d'autres personnages de Kwahulé (Bintou, Jaz, Ikédia…), elle a l'épaisseur des rêves et des fantasmes de ceux qui l'entourent et se l'approprient tour à tour. Sa présence singulière, d'autre part, est nécessaire pour que les voix se lèvent et racontent l'inénarrable : le viol. Il faut la traversée de ce personnage sans intériorité pour que les détenues témoignent et rendent compte. Pourtant, la comédienne meurt dans le tableau final, intitulé Eucharistie, dépecée par les occupantes de la prison, ces mêmes filles qui, dans le spectacle, jouent des pom-pom girls sous le nom de Golden Girls. Personnage au parcours christique, la comédienne est paradoxale et énigmatique. Comme le jazz qui travaille l'écriture de Kwahulé, elle résiste à toute définition univoque : elle est indécidable.

 
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Pistes de lecture

Une poétique de la choralité

Misterioso-119 met en lumière la poétique de la choralité caractéristique du théâtre de Kwahulé. Le chant confus de ces voix "endeuillées" (cf. La voix endeuillée, de Nicole Loraux), qui s'élèvent de façon arbitraire, brise la logique dramatique menant à la catastrophe. L'écriture de Kwahulé est une écriture déambulatoire ("J'improvise", explique l'auteur) qui inscrit au sein du drame un espace et un temps neufs, un nouveau territoire, celui du questionnement nécessaire pour se reconstruire et construire un avenir neuf : "Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s'arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s'abrite comme il peut, ou s'oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l'esquisse d'un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos", explique Deleuze dans son texte sur la Ritournelle (Mille Plateaux). Le lecteur/spectateur est alors invité à une expérience paradoxale, dans laquelle l'intime et le politique se rejoignent. Derrière ce chant confus fait de récits de viol et de fragments de paroles intimes, peut-être y a-t-il l'écho d'un chant primitif, d'une musique grâce à laquelle le spectateur peut à nouveau faire l'expérience d'un partage du monde et se rappeler qu'il appartient à une haute communauté : la communauté humaine.



La déposition de l'identité
Personnage sans identité, l'improviste se charge des fantasmes des détenues : celles-ci se l'approprient à tel point qu'elles se partagent les morceaux de son corps dans la séquence finale : "le cœur te revient" […] Qui n'a pas eu sa part [….]". Ainsi l'improviste n'a-t-elle rien en propre. Même pas son corps. La poétique de la choralité dans le théâtre de Kwahulé semble indiquer une voie médiane où la notion d'identité serait en quelque sorte déposée : la comédienne, cette ‘improviste', est une "étrangère" ("Je l'ai simplement sentie arriver, une vibration étrangère en ce lieu, quelqu'un d'étranger, une étrangère forcément ", explique la détenue qui la tuera). Son parcours christique inscrit au sein du monde fermé dans lequel elle pénètre un espace d'indécision et d'instabilité, une étrangeté et une absence fondamentales, où l'identité toujours se dérobe, mouvante et insaisissable, comme l'origine même du jazz. Le corps pourrait bien alors se trouver là, dans cet espacement entre les corps et les voix qu'engendre la traversée de l'improviste. L'on pourrait alors parler de pulsion chorale chez Kwahulé : la choralité serait ici un geste nécessaire, non pour convoquer une communauté particulière qui serait la communauté noire, mais pour créer la possibilité même du jeu, d'une scène où chaque corps, d'ici ou d'ailleurs, pourrait se mouvoir librement. Ainsi, derrière ce chant dissonant de femmes anonymes, il y a, avant la voix d'un auteur ivoirien, la voix - la "respiration", dirait l'auteur - singulière et irréductible d'un poète : celle de Koffi Kwahulé.

 
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De plain-pied dans le texte

XI- Qu'elle périsse

[…]
"Parce que moi, je veux savoir, enfin savoir si nous sommes capables d'autre chose que de faire disparaître un corps… Parce que même si je ne comprends pas, on sent qu'elle essaie de dire quelque chose, de raconter quelque chose. On la suit. Sans trop savoir où d'ailleurs. On la suit. On lui fait confiance. Jusqu'à un certain point, on lui fait confiance. On la suit parce qu'on se dit Elle cherche. Ça finira par se produire. On finira par reconnaître un passage. S'accrocher à une mélodie. Identifier quelques notes. Mais non, rien. Ce n'est pas le genre de… choses qu'on écoute en fond sonore. Qu'on finit par intégrer. Oublier. Il faut l'écouter. Tu ne peux que l'écouter. C'est comme ça… Mon père, ma mère, mes sœurs, mes copines, mon petit copain, tout le monde est au courant, et tout le monde viendra me voir… Je veux l'épater, mon petit copain, le clouer d'émerveillement dans son fauteuil. Parce que figure-toi que moi j'ai un petit copain. Figure-toi que moi j'ai un petit copain. Moi j'ai un petit copain. Et j'ai envie de sortir de la cage de ma tête. Tout ici est bon à prendre. Tout est bon à prendre ici pour se rappeler que tu es vivante, mieux, que tu es libre. Ici tout est bon à rêver. À rêver qu'un garçon t'attend, seul, dans le froid, sur un quai de gare. À rêver qu'un garçon baisse les yeux, bafouille parce qu'il va te dire Je t'aime. À rêver qu'un garçon te déshabille fébrilement dans une église désertée, t'ouvre pour déverser en toi l'incandescence de son impatience en te susurrant Je t'aime dans toutes les langues de la terre. " […] (p. 43)

 
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  Du texte à la scène…

Misterioso-119 a été mis en espace par Liesl Tommy, au Berkshire Theatre Festival en août-septembre 2005 dans le cadre de l’Act French, puis au New York Theater Workshop et au Lark Studio de New York en octobre 2005 (Act French).

 
 
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Fiche réalisée par Virginie Soubrier (Université de Paris IV)

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