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Récupérations
Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Carole Chichin et Elisa Monteil (Université de Paris III)
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Togo
Editions Lansman, 1992
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Genre
Drame
Nombre de personnages
4 femmes
6 hommes
1 enfant
Longueur
9 tableaux
41 pages
Temps et lieux
Deux journées, le temps du tournage de l'émission "Récupérations", sur un plateau de télévision.
Thèmes
Le récupération politique et médiatique de la pauvreté
Mots-clés
Bidonville , médias , pauvreté , récupération , recyclage , télévision
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Consultation de la fiche par rubriques |
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Un premier repérage :
la fable
Résumé de la pièce
Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité
de la structure et son fonctionnement général par
rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.
Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique
qui permet de dégager une interprétation et les
véritables enjeux de la pièce
De plain-pied dans le texte
Un extrait
Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture
à sa création en passant par les lectures dont elle
a pu faire l'objet
Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce
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Un premier repérage : La fable
Quand le public attend du sensationnel et de l'émotion, et que les pauvres attendent qu'on leur donne la parole, la journaliste Hadriana Mirado dégaine sa caméra dans un pittoresque décor de bidonville reconstitué, et accueille des habitants de la cité de misère "Du côté de chez Dieu". Quand la télévision attend la confession, la tranche de vie qui donne le frisson, les invités déballent leurs rêves, leurs histoires absurdes, et leurs identités impénétrables. C'est le jeu du chat et de la souris : quand les gros médias dévoreurs cherchent les humains, les appâtent, pour mieux les engloutir. Mais les humains en réchappent parfois. Ici, grâce à des pirouettes de langage inattendues, grâce au recours au conte à la fin de la pièce, les personnages se sauvent et la journaliste reste sans voix. Dans un contexte politique où un gouvernement, "pour raison de salubrité publique" a décidé de raser un bidonville, on redécouvre la poésie comme ressort de l'espoir.
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Parcours dramaturgiques
La pièce semble être construite sur un modèle assez classique : la règle des trois unités. Un lieu donc - le plateau de télévision -, une action - le tournage de l'émission jusqu'au passage en direct -, et enfin un temps divisé en deux journées, correspondant au temps de la réalisation.
L'Åuvre est structurée en deux parties, chacune de ces parties correspondant à une journée de tournage. Chaque journée est structurée en tableaux. Nous pouvons constater que ces deux parties sont quantativement inégales.
L'intrigue se déroule de façon linéaire jusqu'à sa fin.
Récupérations, contrairement à d'autres pièces de Kossi Efoui, comporte un nombre assez important de personnages. Nous pouvons identifier ceux-ci par leurs noms, mais aussi par leurs discours. Chaque personnage habitant du bidonville a sa manière de parler, et son propos propre. Chaque discours ne revient pas à une parole commune, un propos global qui réunirait les personnages, même si ceux-ci sont liés par le bidonville. Chaque personnage est à prendre individuellement. La parole est éclatée.
Il existe par ailleurs un discours des médias, qui manient la parole d'une façon bien définie et joue de "la langue de bois". La journaliste gonfle et déforme les faits qu'elle rapporte. Elle est dans une parole superficielle, fabriquée, qui n'est pas sincère. On peut dire des personnages de la journaliste, du médecin Otto Kopf, ou de Germain Leduc qu'ils sont caricaturaux. En ceci, la pièce comporte un sérieux aspect critique et satirique. Ces personnages s'expriment correctement mais dans le vide, avec des expressions toutes faites, préfabriquées, même parfaitement clichées. Ils utilisent le bien-parlé, la "belle langue" qui est actuellement la langue des médias et qui devient la langue de la norme. Mais les mots sont vidés de leur sens, c'est une langue sans forme, sans couleur, sans vie. Par contraste, cela appuie la dureté et la gravité de celle des habitants du bidonville, qui s'expriment eux de manière beaucoup plus poétique et onirique. Cette langue des démunis est, elle, beaucoup plus riche, dense, audible et supportable. Paradoxalement donc, la langue la plus proche d'un parlé auquel nous sommes quotidiennement habitués semble vide de substance alors que la langue travaillée du poète, faisant office de langue de la misère, prend, elle, tout son sens.
On peut cerner l'utilisation du registre de la plainte du personnage de Moudjibate, mais aussi la parole presque évangélique de Dieu, la parole folle, dans un ailleurs, de Séfa, et la parole de l'innocente enfance de Yen Yah.
On note une mise en abyme par le conte, à la fin de la pièce, qui a lieu en parallèle de la destruction du bidonville. Tout comme le conte est l'histoire d'un événement n'ayant pas eu d'existence, de réalité avérée, on est amené à penser que l'histoire mise en scène sur le plateau n'est également qu'un conte tragique. Dans le conte il n'y a que le conteur qui est réel.
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Pistes de lecture
Pour une identité africaine prismatique
Kossi Efoui ne nous place pas devant un discours unique des personnages, mais devant différentes tranches de vie. Ainsi, il présente au lecteur sa conception de l'identité africaine : celle-ci n'est pas uniforme mais éclatée. Nous sommes face à une identité qui oscille, qui est loin d'être figée. Ici, la quête identitaire passe par une reconstruction individuelle devant la caméra. Cette caméra-témoin qui semble disparaître, laissant place aux paroles, pour ensuite ressurgir de l'ombre et rappeler sa présence, sa mémoire à laquelle rien du spectacle ne doit échapper. Les personnages passent par elle pour se chercher, se souvenir, se raconter. Elle entre dans l'intime. Les personnages la cherchent, comme le fait Dieu (p. 22) qui s'installe de lui-même devant la caméra pour parler alors que le plateau est vide et celle-ci éteinte. Les personnages existent par la récupération, le filtre de la caméra qui les met à nu.
La récupération des irrécupérables
A travers la question des médias, nous pouvons voir plus précisément la question de l'instrumentalisation, de la récupération. En effet, l'idée de départ de la journaliste est de récupérer des tranches de vie de personnages qui vivent de la récupération pour faire une émission choc. C'est le cercle pervers de la consommation : on récupère puis on est récupéré, on consomme, puis on est consommé, et la finalité de la chaîne revient au plus gros mangeur. Seulement on s'éloigne bien vite du propos de départ. La caméra cherche en fait à instrumentaliser l'identité africaine pour tenter de la cerner, en filmant la vie des protagonistes (p. 13 "Voilà le cas typique d'une communauté qui sait intégrer⦠comment dire⦠qui sait dépouiller la folie de son potentiel", ou encore comme le dit Kossi Efoui dans un entretien avec Josiane Gueguen, "L'Afrique est une fiction, une invention du regard de l'autre. Mais est-ce une image existante, ou celle que l'on voudrait voir ?"). Seulement, cette identité se perd au moment où elle est captée par les médias. Nous le constatons à la page 13 : "La journaliste : Tiens, j'ai une idée. On pourrait peut-être reprendre ça. C'est impressionnant [â¦] Ce n'est pas grave on fait semblantâ¦" ; Mama-Keta : Rien à faire. Il faut attendre un mois".
A travers cette pièce, Kossi Efoui "dénonce la complaisance compatissante des médias devant la misère".
Le cadre de la pièce est celui du fabriqué, du superficiel. Cela passe tout d'abord et plus directement par la présence des décors qui représentent un faux bidonville à l'image exacte de celui appelé "Du côté de chez Dieu", mais aussi par le discours fabriqué de la journaliste qui cherche à créer l'évènement et n'hésite pas à demander aux personnages de rejouer des situations qu'elle n'a pas réussi à capter.
C'est le principe du show télévisé : on vous montre tout, mais on ne vous montre en fait rien, rien d'autre que ce que le média (producteur, réalisateur, animateur) daigne bien montrer. Ce sont des "vrais gens" mais sortis de leur contexte de vie sociale, ils sont autres. L'image, ici la télévision, utilise ces humains comme des "variables d'ajustement" d'audimat, les pense malléables, disposés à se fondre dans un décor censé leur ressembler. Mais cette télévision omet le fait que l'humain est par définition imprévisible, comme l'esprit est incontrôlable. Faire du spectaculaire avec de l'humain pour attirer les foules et travailler la sensiblerie, tels les montreurs de monstre du cirque, déballer la misère, les conséquences de la misère et en étouffer les causes.
La pièce de Kossi Efoui nous présente à la fois des personnages dans la dérisoire attente d'être sauvés - par Dieu ou la télévision - mais également des personnages dont une part d'humanité, à travers la poétique du langage, échappe à tout contrôle, à toute récupération. Kossi Efoui choisit l'onirisme, la poésie pour évoquer une réalité violente, et donne ainsi à la pièce une véritable ampleur humaniste, pleine d'optimisme et d'espoir.
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De plain-pied dans le texte
La journaliste : D'abord, nous installer. (Elle les aide à se disposer) Moteur !⦠Notre périple hebdomadaire nous conduit aujourd'hui à un endroit pour lequel nous avons eu un véritable coup de foudre : "Du côté de chez Dieu". Nous allons le découvrir ensemble à travers les propos de ses habitants qui ont bien voulu nous accueillir.
Moudjibate : Je ne sais si j'aurais le courage de vous raconter ma vie. Les confidences, c'est comme les haleines fétidesâ¦
La journaliste : Très intéressant mais commençons par le début.
Dieu : Au commencement⦠je suis le premier. Et ce n'est pas un hasard si cet endroit s'appelle "Du côté de chez Dieu" depuis quinze ans, c'est-à -dire depuis que j'y suis. Un pionner, madame, voilà ce que je suis. J'ai découvert le filon que représente ce dépotoir. Je récupère, je traficote, je revends. Le vieux bidon, la vieille table, les livres usés⦠Tout finit toujours par repasser par ici. Je rattrape, je flaire, je soupèse et je relance. Et puis un jour, les choses reviennent si usées qu'on n'y peut plus rien : on laisse mourir.
Keli : Pour les fleurs, c'est pareil.
Dieu : Quand Keli est arrivé iciâ¦
Keli : Keli, c'est moiâ¦
Dieu : Quand Keli est arrivé ici, il a voulu me faire croire certaines choses.
La journaliste : Quelles choses ?
Dieu : Je vais vous dire ce que le Vautour a déclaré il y a longtemps : "Tout autre oiseau aurait affronté ce qui a déplumé mon crâne, sa tête ne serait jamais rentrée au pays".
La journaliste : Ouiâ¦alors ?
Dieu : Alors moi, j'ai flairé les objets que Keli m'a apportés et je lui ai dit : "Filsâ¦
Keli :â¦"Fils - qu'il m'a dit - je ne veux pas savoir d'où ça vient. Mais ça peut rapporter gros. C'est l'essentiel".
La journaliste : Et d'où venaient ces objets ?
Keli : Il y a si longtempsâ¦
Dieu : Ensuite d'autres ont commencé à arriver. E depuisâ¦
(Séfa surgit de la cabane)
Séfa : De quel côté de la vie es-tu ?
Moudjibate : Tu as encore bu.
La journaliste : Je l'avais oublié celui-là .
Dieu : Malheur à celui par qui le scandale arrivera.
Séfa (à Dieu) : De quel côté de la vie es-tu ?
Mama-Keta : Ca y'est, ça recommence.
Moudjibate : tu as encore bu.
Keli (à la journaliste) : Ca y est ça recommence, dans cinq minutes, il ressort son couteau.
La journaliste : Coupez !
Le caméraman : J'ai coupé.
La journaliste : Vous plaisantez ?
Keli : Non, mais il n'est pas méchant.
Yen Yah : Il joue avec son couteau.
Mama-Keta : Il joue à faire peur.
La journaliste : Faites quelque chose.
Keli : Il n'est pas méchant, je vous dis.
Séfa : Je n'aime pas ceux qui ne savent que poser des questions. Il y a des problèmes à régler ici. (à Dieu) N'est ce pas grand frère ?
Keli (à la journaliste) : Il commence toujours comme ça."
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Du texte à
la scène
Il existe une première version de la pièce, intitulée La Récupération datant de 1988, celle-ci a été jouée par lâAtelier Théâtre de Lomé en 1989. La version éditée chez Lansman a été écrite en 1990, et créée en 1991 dans le cadre du projet Balagan au Zaïre puis a tournée en France. La mise en scène était de Grégoire Ingold.
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Pour poursuivre le voyage
L'humour du ventriloque
"Pour autant, l'Åuvre de Kossi Efoui est loin d'être sinistre, bien au contraire. L'humour affleure à tout moment dans chacun de ses textes. Il est difficile de faire un spectacle sinistre avec des marionnettes, il faut retrouver une âme d'enfant pour comprendre comment le mouvement des pantins prête à la fois à rire et à rêver. Le principe humoristique réside dans le mystère de la parole. Les personnages sont drôles parce qu'ils portent une voix étrangement déconnectée. Le montreur de pantin doit être ventriloque. La Fabrique de Cérémonies fait alterner des scènes muettes et des discours inassignables. Les paroles flottent au-dessus des personnages et semblent n'avoir aucune prise. Sinistre serait un monde où il est devenu impossible de parler pour ne rien dire. Dans le monde de Kossi Efoui, tout est drôle et cruel à la fois, car il est impossible de dire quelque chose par la parole. Les paroles n'ont même pas la possibilité d'être authentiques. Elles sortent d'on ne sait où et vont on ne sait où. Sous ces flux de paroles, les corps gigotent. L'effet comique est imparable. Cette fracture entre les voix et les corps est à la fois cruelle et drôle. Ce lien étroit entre l'humour et la cruauté place l'auteur dans la lignée de Beckett et Sony Labou Tansi.
Cette toile continue que tisse la voix est le véritable fond des scènes théâtrales et romanesques de l'auteur. Le flux de parole ignore le partage entre la lumière et l'obscurité. Ces paroles déracinées qui s'accrochent et s'enchevêtrent les unes aux autres forment un espace de vie irréductible à aucun spectacle. Ce mouvement qui arrache des bribes de discours à leur contexte pour les répéter de façon apériodique est l'armature de son travail. Il y a dans les mots, dans les bribes de phrases, une force d'obstination qui nous permet d'envisager une résistance à la mise en image généralisée du monde et aux forces obscures que ces images couvent. On ne tente pas d'ordonner le monde avec le langage sans passer du côté des manipulateurs. Tout l'effort de Kossi Efoui est de nous montrer que le langage peut servir à autre chose, à condition de prendre le risque d'être dépossédé de notre langage et de se mettre à écouter les chiens parler."
Xavier Garnier, " Kossi Efoui : le montreur de pantins", in Notre Librairie / Revue des littératures du Sud, n°146. |
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Fiche réalisée par Carole Chichin et Elisa Monteil (Université de Paris III)
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