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Cannibales
Ces fiches sont soumises au respect de la propriété intellectuelle.
Fiche réalisée par Enora BAUBION (Université Rennes 2)
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Bénin
2004
L'Avant-Scène théâtre, collection "Les Quatre-vents", Paris, 2004
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Genre
Comédie dramatique
Nombre de personnages
3 femmes
Longueur
1 acte
51 pages
Temps et lieux
un après-midi, un parc municipal, trois bancs
Thèmes
désir de maternité (Le)
Mots-clés
bébé , désir , disparition , fabulation , instinct , maternité , mensonge , mère
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Consultation de la fiche par rubriques |
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Un premier repérage :
la fable
Résumé de la pièce
Parcours dramaturgiques
Analyse dramaturgique qui fait apparaître l'originalité
de la structure et son fonctionnement général par
rapport à l'espace, au temps, aux personnages, etc.
Pistes de lecture
Analyse plus philosophique et poétique, voire linguistique
qui permet de dégager une interprétation et les
véritables enjeux de la pièce
De plain-pied dans le texte
Un extrait
Du texte à la scène
Petite histoire de la pièce de ses conditions d'écriture
à sa création en passant par les lectures dont elle
a pu faire l'objet
Pour poursuivre le voyage
Extraits de presse ou d'entretien au sujet de la pièce
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Un premier repérage : La fable
Une parole surgit en scène : "Ma fille a disparu" (p.15). C'est Christine, qui s'est endormie un après-midi sur un banc dans un parc municipal. Elle vient alors au-devant de deux autres femmes assises non loin d'elle dans ce parc, Nicole et Martine, pour essayer de comprendre et de résoudre la disparition de sa petite fille. Peut-être ces deux femmes ont-elles vu quelque chose ? Christine parle avec espoir. Nicole, par contre, est dans la négation : cette dernière n'aime pas les enfants. Martine se promène avec son bébé Martin dans un landau. Elle écoute Christine mais ne s'implique pas trop, de peur de réveiller son petit garçon. Mais qui sont ces trois femmes qui se tutoient ? Le spectateur est intrigué, l'inquiétude de Christine sur la disparition de son bébé n'est pas franchement visible. L'énigme de la pièce réside dans la découverte des trois personnages, plutôt que dans la recherche du bébé. Chaque personnage est fort de ce qu'il tait. Le dialogue devient questionnement, doute. Petit à petit, leurs mensonges apparaissent. Ainsi, on va apprendre que le landau de Martine n'héberge pas de bébé. Elle a volé le landau de Christine. Un landau vide. Christine n'a finalement pas de petite fille. Ces trois femmes sont en quête du désir maternel. L'invention du bébé fonctionne comme un prétexte à se prononcer sur les envies de devenir mère, à faire entendre leurs désirs, interrogeant ce besoin de s'approprier la vie, un enfant.
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Parcours dramaturgiques
Deux approches possibles s'offrent à la lecture. Sous un certain angle, Cannibales convoque une dynamique de confrontation mouvante entre les personnages. Si le texte est constitué en un seul bloc, plusieurs moments se distinguent pourtant à travers des duos qui se forment puis se défont. Au début, Martine s'allie ainsi à Christine contre Nicole, cette dernière ne souhaitant pas être dérangée par la disparition du bébé. Puis, en fin de parcours, Nicole va s'allier avec Christine, Martine avouant alors que c'est bien elle qui a volé le landau. Ces duos rythment la pièce. Cette composition en confrontations incessantes fonctionne comme une manière d'aller toujours plus loin : les trois femmes approfondissent leurs instincts en se renvoyant la parole, suivant des effets d'intériorité. La pièce repose sur ce fil qu'est la tension par la question. Finalement, les trois personnages sont dans une même quête de maternité. La pièce se termine d'ailleurs sur un "nous" qui, tout en les globalisant, permet de présenter ces trois personnages féminins comme un seul. Christine, Martine et Nicole représenteraient, en ce cas, une seule instance, une seule envie d'être mère, étudiée selon trois points de vue : la mauvaise mère (Nicole), la mère par étourderie (Christine) et la bonne mère (Martine).
Sous un autre angle, Cannibales présente une confrontation qui ne s'inscrit pas cette fois dans les instances de parole. Le parcours psychique, l'histoire mensongère des personnages, s'oppose au parcours sur scène des acteurs. Le premier est fortement errant puisque l'invention d'une histoire totalement affabulée progresse dans des gestes, des actions supposées réalisées autour du bébé. Les personnages décrivent des actions antérieures à la représentation. Le deuxième parcours, à savoir ce qui se passe réellement sur scène, est figé. Aucune didascalie n'est à relever dans le texte et l'inquiétude de Christine sur la disparition de sa fille n'est entretenue que dans le flot de paroles qu'elle débite et qu'aucun geste, dans le texte, ne vient ponctuer. Tout se joue, tout bouge, dans la parole. Les intentions, au lieu des actions, prennent ici le devant de la scène.
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Pistes de lecture
Pulsions maternelles
Dans l'écriture de José Pliya pour cette pièce, les pulsions maternelles font à la fois allusion à la vie et à la mort. La mère offre la vie à son enfant, inventé, mais parallèlement lui donne aussi la mort car il n'existe pas : "je ne fais pas la différence entre un bain chaud et un bain froid ; je ne sais pas si le lait du bébé doit être brûlant ou glacé ; (â¦) à chaque heure du goûter, je m'emmêle les petits pots : ratatouille, ratachou, raticide" (p.37). Désirs, culpabilité de ne pas bien faire avec le bébé, peurs, les trois personnages féminins de Cannibales se dévoilent progressivement. On remarque aussi ici une langue très travaillée par José Pliya. L'auteur joue avec les mots, prend le temps de la description aussi, dans les paroles de ses personnages et non dans l'utilisation de didascalies. Les mots utilisés forment un large exemplaire des différentes sensations et émotions qui étreignent et affectent tour à tour Christine, Martine et Nicole. Une épreuve se déroule devant nos yeux. La parole entraîne ces trois femmes et fait surgir en scène des pulsions maternelles inavouables, inquiétantes mais aussi charnelles : "nous parlons de jouissance, de caresses, de succions" (p.51).
Cannibalisme
Mais pourquoi Cannibales ? Parce qu'il est dit qu'elles vont aller "chasser des enfants" (p.59) ? Une légende urbaine, dans le texte, parle de femmes qui iraient enlever à leur mère des enfants dans les parcs, mais cette explication ne suffit pas. Le titre pourrait alors faire référence à un désir de maternité si puissant que les trois personnages s'approprient des bébés inexistants. Ces femmes en scène se disent par la bouche. La parole, leur voix, fait vivre leur propre fabulation. Symboliquement, elles mangent leur propre enfant, cette histoire qui nous est racontée, parce qu'à la fin, le public sait qu'il n'y a jamais rien eu dans le landau. La fable est simulacre, et c'est le pouvoir de cette invention qui devient l'enjeu de la pièce. Ces trois femmes n'ont pas de bébé, mais elles ont accouché d'une histoire à laquelle on a cru, à laquelle elles ont cru. Le bébé ne prend forme que dans la force de cet artifice, fondé sur le pouvoir du théâtre. Le public n'est plus le témoin de ce qui se passe sur scène, il en devient un adepte, il entre dans un rite auquel nous a convié l'auteur, parce que jusqu'au bout il est intrigué, embarqué dans une histoire inventée. Jusqu'au bout on a envie de croire qu'il y a vraiment un bébé dans le landau alors qu'il n'en est rien. Non seulement nous savons que nous assistons dès le départ à une fiction, mais en plus, cette fiction est elle-même mise en abyme car fondée sur les mensonges des personnages. Une des dernières paroles du spectacle prend alors tout son sens : "ne rêvez plus la vie, venez la dévorer" (p.59), nous dit Nicole.
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De plain-pied dans le texte
CHRISTINE : Pendant que je dormais, ma fille a disparu. Pendant que je dormais, vous êtes arrivées, l'une avant l'autre, l'une après l'autre, qu'importe. Ma fille a disparu, ici, entre nous trois et nous allons la retrouver.
MARTINE : â¦
CHRISTINE : Mon bébé s'est perdu quelque part entre nous trois ; peut-être dans le silence de Nicole, peut-être dans vos peurs, Martine, peut-être même dans mon sommeil, je ne sais pas encore. Mais elle est ici et nous allons la retrouver.
MARTINE : Christine, vous perdez la raison.
CHRISTINE : Je m'en doutais confusément et puis, dans les yeux de Nicole, je l'ai senti avec précision. On ne voit bien que dans les yeux.
MARTINE : La confusion, justement. Je crois que votre esprit est en souffrance et que vous êtes désorientée. Ce n'est pas entre nous qu'on trouvera votre fillette et son landau, mais dans le parc, l'immensité du parc qu'il nous faut sillonner, tout de suite, maintenant, s'il n'est pas déjà trop tard.
CHRISTINE : Vous supposez, Martine, que le désarroi où je me trouve bouscule mon cÅur et ma tête et me pousse au délire. Je sais, je suis une bien mauvaise mère, précipitée dans cette condition, sans apprêt, sans consigne, sans mode d'emploi. Je n'ai rien vu venir. J'étais une jeune femme écervelée qui déroulait sa vie au gré de l'immédiat et des plaisirs instantanés. Jour après jour, je n'avais qu'une occupation : gérer mon insouciance. Au matin, j'hésitais entre un réveil à la dixième ou à la douzième heure. Le soir venu, je dégrafais mes jarretelles au plus profond des nuits illicites. Et il n'y avait rien d'autre que j'aimais de mieux. C'est par une nuit d'inadvertance que je me suis retrouvée mère, d'un coup, d'un seul et sans comprendre ce qui m'arrivait, j'ai adoré ça. Je suis insouciante, je ne suis pas folle.
MARTINE : Vous n'êtes pas folle, vous êtes inconsciente et, pendant ce temps, votre bébé se perd de plus en plus. Dépêchons-nous.
(J. Pliya, Cannibales, L'avant-scène, collection des quatre vents, p. 35-36)
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Du texte à
la scène
Cannibales est le fruit dâune commande dâécriture faite à José Pliya par la compagnie de la Comédie Noire. La pièce est tout dâabord mise en lecture au festival dâAvignon Off 2002 au TOMA avec Nicole Dogué (Nicole), Martine Maximin (Martine) et Christine Sirtaine (Christine). Puis, Jacques Martial la met en scène au Théâtre National de Chaillot à Paris, elle y est jouée du 19 novembre au 18 décembre 2004 avec Marie-Noëlle Eusèbe (Nicole), Martine Maximin (Martine) et Christine Sirtaine (Christine). La pièce a été par la suite présentée à lâArtchipel, scène nationale de la Guadeloupe, du 27 au 29 janvier 2005.
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Pour poursuivre le voyage
"Notre espace scénique figure ce que, un moment, j'ai appelé des limbes et que j'imagine, au moment où j'écris ces lignes, le lieu d'un temps arrêté, théâtre où les mutations opèrent, où les émotions se troublent telles des liquides précipités. Sous terre, sous des escaliers oubliés de tous, dans un palais ancien, nous avons trouvé trois Cannibales, trois Bacchantes, trois Femmes. Trois désirs brûlants de maternité ? Un désir brûlant de maternité ? Une mère ? Une mère en mal d'enfant ? Un désir ?
(â¦) Cannibales !
Le sens premier de la tragédie nous est restitué. Alors que les Antiques continuent d'effrayer nos âmes en nous contant leurs mythologies, Cannibales nous transperce soudain de son chant moderne. Chant de la cruauté retrouvée, de la peur essentielle qui bouleverse, de la terreur salutaire par laquelle nous nous laissons envahir, dévorer avec plaisir", Quelques questions en guise de notes d'intention, Jacques Martial, mise en scène au Théâtre National de Chaillot, décembre 2004. |
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Fiche réalisée par Enora BAUBION (Université Rennes 2)
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